Pour son premier long métrage, Une femme du monde, Cécile Ducrocq raconte le quotidien étouffant de ceux qui ne font que survivre.
Avec Une femme du monde, Cécile Ducrocq s’inscrit dans un registre que nous connaissons bien : celui du naturalisme. La réalisatrice ne filme aucune fioriture pour amener un film engagé, documenté et brassant beaucoup de sujets sociaux difficiles et importants. Laure Calamy incarne une prostituée, comme dans le court métrage de Ducrocq sorti en 2014, Contre-allée. On se glisse en silence dans le quotidien d’une mère célibataire qui est prête à tout pour offrir un avenir à son fils. Impériale, Laure Calamy rayonne et offre son talent sur un plateau amer et réaliste.
Entre révolte et mutisme résigné
Une femme du monde ne parle pas de la prostitution, bien qu’il nous fasse réfléchir aux conditions de vie et de travail de ces femmes qui luttent chaque jour pour survivre. C’est un film qui raconte le quotidien suffoquant d’une mère célibataire qui tente d’offrir à son fils ce qu’elle n’a pas. C’est l’histoire ordinaire d’une bataille sans fin contre une société. Une société qui renvoie sans cesse les personnages à leur pauvreté dès lors qu’ils tentent de s’en sortir.
Le film débute dans une chambre, celle de Marie, là où tout se joue pour elle. Une passe banale pour la femme. La caméra n’existe pas, et l’impression documentaire survient assez vite. Laure Calamy est bluffante de réalisme, tout comme la scène en question. Pas de musique, pas de dialogues trop imposants. La réalisatrice filme un quotidien, celui de Marie, qui se déroule au fil des scènes. Cécile Ducrocq dépeint d’emblée deux personnalités aussi différentes que similaires. On comprend cependant que cette dichotomie nait de la manière dont la société juge bon de traiter les personnes issues de cette catégorie sociale.
Une descente aux enfers ordinaires
Si le film suit avant tout Marie, il dépeint également le personnage de son fils, Adrien, tout juste expulsé du BTS cuisinier qu’il suivait. Les deux personnages représentent deux types de révoltés : ceux qui en parlent, et ceux qui se terrent dans le silence. Marie est une grande gueule, elle s’insurge contre tout et est persuadée qu’elle et son fils peuvent avoir un meilleur avenir. Tantôt irritante, tantôt attachante, c’est un personnage haut en couleurs. Militante, elle ira à une manifestation où elle prendra le mégaphone et montera sur une voiture pour se faire entendre.
Elle est comme ça, Marie. Elle ne laisse personne lui marcher dessus. Et surtout pas la femme qui doit trouver une nouvelle formation à son fils après son renvoi du BTS. C’est une mère qui subit tout pour son fils, mais n’a pas honte de ce qu’elle fait. Pour preuve, elle le dira sans sourciller au banquier auquel elle demande un prêt.
Alors que Adrien, lui, est son contraire. Il y a dans ce personnage beaucoup de colère qu’il n’arrive pas à formuler. C’est un révolté mutique et résigné. Persuadé que « des gens comme eux » n’y arriveront jamais, il contraste avec l’optimisme de sa mère. Optimisme qui n’est là que parce qu’en tant que mère, elle ne doit pas perdre la face pour son fils. Exactement comme le personnage de Marie, Adrien peut parfois être irritant. Il fume beaucoup, ne fait pas grand chose de ses dix doigts et semble souvent très ingrat avec sa mère. C’est un personnage qui se résigne à sa condition sociale, persuadé qu’il ne mérite pas plus car la société ne le laissera jamais faire.
Les happy ending sont pour Cendrillon
Jamais Cécile Ducrocq ne raconte un conte de fées où tout finit par se résoudre comme par magie. Marie a trouvé une école parfaite pour que son fils devienne ce qu’il rêve : un chef cuisinier. Seulement c’est une école privée et Marie va devoir trouver 5000 euros pour le paiement du trimestre. Sans cet argent, son fils ne fera probablement jamais ce qu’il aime. L’enjeu du film se cristallise autour de cette somme, qui se matérialise comme une montagne à gravir pour Marie.
C’est le début de la descente aux enfers pour elle. Réalisant que ses clients réguliers ne seront jamais assez pour qu’elle obtienne ces 5000 euros, Marie va aller en Allemagne, dans une maison close à l’atmosphère lourde et glauque, pour pouvoir donner un avenir à son fils. Faisant des heures de route matin et soir, Marie va débuter une longue et douloureuse descente. Elle était maitresse de sa profession, ayant ses habitués et les accueillant chez elle. Elle finit par tout abandonner pour travailler pour quelqu’un. Ainsi, elle ne choisit plus rien et subit les humeurs des clients ou de ses jeunes collègues, qui la renvoient à son âge tous les soirs. Marie va subir la fatigue morale et physique de ce nouvel espace de travail, jusqu’à commettre l’irréparable, par peur d’échouer aux yeux de son fils.
Avec Une femme du monde, Cécile Ducrocq ne tombe pas dans le mélodramatique. Elle reste plutôt sur cette corde naturaliste, réaliste et ancrée dans cette mouvance qui ne laisse pas de place aux happy endings simplistes et magiques.
Une femme du monde est un très bon premier long métrage, qui ne perd jamais de vue ses personnages ni le fil rouge de leur histoire et de leur évolution. Engagée, Cécile Ducrocq dépeint et dénonce ces Peter Pan de tous les jours, happés par une baleine appelée le quotidien. Ainsi, la réalisatrice dévoile un film intimiste et pourtant universel, qui saura parler au plus grand nombre. De son côté,Laure Calamy porte le film sur ses épaules, charismatique et solaire, de la même manière que son personnage porte son fils à bout de bras pour qu’il accomplisse son rêve.
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