Œuvre anxiogène et parfois éprouvante dans son rythme, Uncut Gems est une proposition de cinéma brute et sans concession, qui livre une démonstration acerbe des affres du capitalisme tout en permettant à Adam Sandler de briller dans ce rôle de bijoutier du Diamond District qui ne vit que pour le frisson du pari.
Un peu plus de deux ans après le très apprécié Good Time mettant à l’honneur Robert Pattinson, les frères Safdie frappent un grand coup en choisissant la plateforme Netflix comme diffuseur de Uncut Gems, leur nouveau long-métrage. Après une sortie anticipée aux Etats-Unis, le diamant brut des frères Safdie est disponible depuis le 31 janvier dernier sur la version francophone de la plateforme. Dans ce thriller anxiogène virtuose, les deux réalisateurs offrent l’opportunité à Adam Sandler de démontrer l’étendue de son talent.
Il incarne un bijoutier – occasionnellement revendeur – sévissant dans le Diamond District de New York et ne vivant que pour les sensations extatiques que lui procurent le pari et le gain. L’acteur américain excelle dans cette proposition singulière, qui se démarque nettement de ses interprétations précédentes. C’est autour de son personnage, Howard Ratner, qu’Uncut Gems va se construire. Un personnage dont le quotidien régi par l’argent et l’appât du gain va être progressivement déconstruit suite à l’acquisition d’un diamant brut provenant directement des mines éthiopiennes. Entre règlements de compte, prise de décisions risquées – voire mortelles – et coloscopies de contrôle, Uncut Gems se veut une œuvre à la fois cacophonique et kaléidoscopique, qui marquera à coup sûr la rétine et l’esprit du spectateur longtemps après son visionnage.
Passée sa séquence d’ouverture mettant en scène la découverte du diamant brut par des ouvriers – découverte qui leur coûtera la vie – au cœur des mines éthiopiennes, Uncut Gems plonge directement le spectateur au creux de l’intimité du personnage de Howard Ratner, puisqu’une courte séquence psychédélique introduite par un zoom sur le diamant en question, se termine par la traversée du colon de Howard. Le personnage est aussitôt mis en situation délicate, il n’est pas question de le glorifier ou de l’idéaliser malgré son évolution dans un milieu gangrené par l’argent.
On le comprendra rapidement, il ne s’agit pas ici de faire l’éloge du capitalisme et de la richesse, mais bien d’en démontrer les défaillances et les issues fatales. Le personnage de Howard Ratner n’inspire jamais de sympathie, même lorsque toute la malchance de l’univers semble s’être abattue sur lui. Tantôt pathétique, tantôt carrément irritant, il incarne la parfaite allégorie du capitalisme à outrance et de l’avidité.
Un aspect du long-métrage va très rapidement retenir l’attention du spectateur : l’omniprésence du son. Howard Ratner évolue dans un environnement dont le caractère anxiogène est renforcé par l’utilisation de la musique de Daniel Lopatin, superposée directement sur des dialogues nerveux et imposants. C’est cette utilisation particulière du son qui va permettre au long-métrage d’instaurer progressivement un sentiment d’inconfort chez le spectateur. Durant deux heures, nous sommes invités à faire corps avec Howard, à ressentir au plus près toute l’anxiété dégagée par les situations délicates auxquelles il ne semble pas pouvoir échapper. Cette ambiance particulière va s’emparer du spectateur, pour ainsi le happer et le malmener pendant plus de deux heures, jusqu’à cette séquence finale inattendue et magistrale de tension, que l’on sentait palpable tout au long du récit.
Mais outre cette utilisation remarquable du son et l’interprétation sans faute de ce casting singulier – composé entre autres de Lakeith Stanfield, Julia Fox et de The Weeknd dans son propre rôle – Uncut Gems se démarque également par son esthétique singulière. Tourné en pellicule 35mm, le long-métrage est sublimé par le travail de Darius Khondji. On retiendra les séquences de « voyage à travers la gemme », non sans rappeler les errances à travers l’espace et le temps de Terrence Malick dans Voyage Of Time et The Tree of Life. On regrette amèrement que le long-métrage des frères Safdie n’ait pas été distribué dans les salles françaises, tant on aurait voulu profiter du grain de la pellicule et de ce considérable travail sonore dans des conditions optimales.
Véritablement anxiogène et oppressant, Uncut Gems s’empare du spectateur et s’acharne à le maintenir constamment actif en instillant une tension colossale au sein de son intrigue. Étourdis par le son et hypnotisés par les images, on termine le dernier film des frères Safdie avec l’étrange sensation d’avoir été enfermés pendant deux heures dans un manège à sensations.