Cinq ans. C’est le temps qui aura fallu à Laura Wandel pour finaliser l’écriture de son premier long-métrage, Un monde.
Huis-clos étouffant au sein d’une école, Un monde plonge le spectateur dans une cruauté rarement observée. Malgré une durée assez peu banale de nos jours (1h15), aucune scène n’est négligée ou bâclée. La puissance de cette écriture est d’autant plus marquée quand la mise en scène suit. Mis en avant lors du festival de Cannes 2021 – dans la sélection un Certain Regard – il est à nouveau mis à l’honneur lors du festival Télérama ce mois-ci.
Lors de sa grande rentrée en primaire, Nora (Maya Vanderbeque) est témoin du harcèlement que son grand frère subit à l’école. Entre son envie de le protéger, et ce dernier qui refuse toute aide, Nora se perd dans une myriade de pensées. Doit-elle agir ? Doit-elle se taire ?
Une mise en scène bavarde
Une grande partie de la beauté du 7ème art réside dans sa capacité à faire ressentir des choses au spectateur par la mise en scène. C’est un coup de maître que nous avons sous les yeux avec Un Monde. Intégralement filmée à hauteur d’enfant, la caméra prend le parti de ne suivre que Nora tout au long du film. On traverse donc avec elle toutes ses angoisses et tous ses doutes, à travers la performance irréprochable de la jeune comédienne. L’environnement de l’école nous paraît par conséquent immense et menaçant.
Une autre astuce de mise en scène rend certaines séquences si fortes : la mise au point ne se focalise que sur Nora et son entourage. L’arrière-plan est systématiquement flou, rendant l’espace qui les entourent davantage difficile à cerner. La vision du spectateur ne peut donc se concentrer que sur ce qui se passe sous son nez. Tout se met ainsi en place pour rendre l’expérience oppressante, jusqu’au choix de l’école. Laura Wandel nous le confie lors d’une rencontre de presse : « J’ai dû faire le tour de toutes les écoles de Bruxelles avant de trouver celle qui me convenait ».
Le souci du détail de la sensation permet au film de se muer en une expérience sensorielle. Les petits moments de la vie d’enfant nous reviennent un à un : grelotter hors de l’eau à la piscine, l’alcool à 90% sur une plaie toute fraîche… Si dans le premier quart d’heure ces scènes déroutent, leur présence se justifie absolument. Nous sommes au niveau de Nora, narratrice de sa propre histoire.
Le poids des choses
Au début du film, on découvre Nora dans une longue étreinte avec son grand frère. Ce dernier y joue un rôle rassurant et protecteur. La jeune fille découvre le monde de l’école, terrifiée par l’inconnu. Mais tout cela va rapidement s’inverser. Dès que Nora va constater que son frère se fait harceler, et qu’il lui demande de ne rien dire à leur père, elle abandonne ses craintes personnelles et les reporte en sa direction.
Paradoxalement, et dans un premier temps seulement, Nora paraît grandir à une vitesse folle. Elle parvient à s’ouvrir à ses camarades et semble réussir à s’attacher aux personnes de son âge. Ils deviennent un repère, au même titre que son frère, son père ou sa maîtresse. Alors quand la réputation de son frère commence à impacter ce cercle de sécurité qu’elle s’est construit, elle montre les premiers signes de cassure. Cette justesse dans l’écriture du personnage est expliquée par Laura Wandel : « la cruauté des enfants n’est pas anodine, elle part toujours d’un fondement profond ». Les enfants s’expriment sans filtres, avec un franc-parler dont les adultes sont désormais incapables. L’œil bienveillant de la cinéaste ne nous fait jamais entrevoir cela comme de la simple cruauté. Un constat se dresse, et il semble universel.
Sans crier gare, Un Monde arrive finalement dans nos salles françaises de la plus belle des manières. C’est une histoire humaine d’une grande violence, ornée d’une douceur ambiante amenée par certaines interactions. Laura Wandel nous confie d’ailleurs qu’elle travaille déjà sur son second long-métrage, en cours d’écriture. Après une proposition comme celle-ci, on ne peut qu’être impatients de voir ce qu’elle nous réserve.