Présenté à la Berlinale 2024, Tu ne mentiras point marque les retrouvailles à l’écran de Cillian Murphy, fraîchement oscarisé, et du réalisateur belge Tim Mielants, après leur collaboration sur la série anthologique Peaky Blinders.
Tu ne mentiras point est l’adaptation cinématographique du roman éponyme de Claire Keegan, publié en 2020 et inspiré des drames liés aux couvents de la Madeleine en Irlande. A savoir, des institutions catholiques à l’origine d’abus moraux et physiques envers des jeunes femmes considérées comme étant des dérives de la société.
Le film s’articule ainsi autour de Bill Furlong (Cillian Murphy), un observateur externe de ces drames, se déroulant ici au couvent du bon Pasteur, et portant en lui le fardeau de l’orphelin. Cette production indépendante soutenue par des sociétés américaines, belges et irlandaises, s’accompagne du talent d’Enda Walsh, dramaturge renommé (auteur de Misterman, Ballyturk) et fidèle collaborateur de Murphy.
A travers la réalisation de ce film, Tim Mielants pose implicitement une question essentielle sur l’adaptation, au cinéma, de drames inspirés de faits réels. Dans un monde où l’information est accessible de mille façons (documentaires, podcasts d’informations, réseaux sociaux), comment rendre un récit aussi poignant que marquant ?
« Irlande, 1985. Modeste entrepreneur dans la vente de charbon, Bill Furlong (Cillian Murphy) tache de maintenir à flot son entreprise, et de subvenir aux besoins de sa famille. Un jour, lors d’une livraison au couvent de la ville, il fait une découverte qui le bouleverse. Ce secret longtemps dissimulé va le confronter à son passé et au silence complice d’une communauté vivant dans la peur. «

Entre silence et intensité
La force de Tu ne mentiras point repose sur son authenticité. Le spectateur est immédiatement plongé au sein d’une histoire riche et lourde de sens. Tim Mielants opte pour une mise en scène épurée, tournée en décors réels, dans la ville de New Ross. Il permet ainsi d’intégrer son propos dans l’étendue infinie des paysages irlandais, encapsulant la beauté glaciale de la nature avec les douleurs tues de son personnage principal. Par ailleurs, le spectateur s’implique aisément à cette petite vie de village où chacun semble connaître les souffrances de l’autre sans jamais les nommer.
La narration épouse la retenue de Bill Furlong. Tu ne mentiras point regorge de plans fixes, figés soit une sur action déterminante, soit sur l’interprétation de son protagoniste qui libère et partage, de ce fait, ses troubles à celui qui l’observe à distance. Cillian Murphy délivre l’ensemble de ses émotions dans un mutisme si intense qu’il s’en dégage une force insaisissable dans son regard et dans sa gestuelle, où l’on peut ressentir la douleur de son impuissance face au malheur d’autrui.
L’intériorité comme moteur dramatique
Tim Mielants s’applique à dépeindre l’épuisement physique et émotionnel du protagoniste par l’intermédiaire de sa vie monotone, rigide et codifiée. La proximité des habitants du village s’oppose à l’éloignement sentimental de Bill qui souffre inlassablement d’une charge invisible sur ses épaules. En centrant son récit sur les conséquences émotionnelles de ce qu’il découvre, Tim Mielants détourne le regard du spectateur des faits eux-mêmes, pour l’inviter à en ressentir l’impact intime.
De ce fait, Mielants incorpore religieusement de multiples flashbacks à son histoire qui assènent encore plus les scènes de souffrance de Bill et apportent une justification à sa douleur psychologique. Cette mémoire douloureuse pèse sur son présent et justifie sa passivité apparente. Être père de plusieurs filles l’empêche de détourner le regard sur le sort d’autres enfants, mais c’est surtout son passé qui le pousse à agir : éviter à ses filles la misère qu’il a connue. Prendre soin des autres lui permet de combler le manque expérimenté antérieurement.
Une violence suggérée, jamais exhibée
De même, Tim Mielants choisit de ne pas montrer frontalement les violences visiblement dénoncées. Son film en est plus puissant qu’il est subtil et laisse l’imagination du spectateur concevoir l’indicible. Cette finesse de transmission se repère par un rythme plat, qui s’avère pourtant nécessaire afin de permettre à son audience de digérer les émotions douloureuses du protagoniste. Dans la même mesure, la bande sonore est assourdissante et pesante. Elle isole encore plus Bill et renforce son sentiment d’impuissance.
De ce fait, Tu ne mentiras point a tout d’une histoire dramatique à l’apparence simple mais profondément percutante. Ce même sentiment, véhiculé par les nombreux lecteurs du livre dont le film est adapté, est ainsi parfaitement retranscrit dans l’adaptation scénaristique d’Enda Walsh et cinématographique de Tim Mielants. L’absence de dénouement concret semble majorer d’autant plus ce ressenti.

Un regard plus large sur la responsabilité
Le film rappelle The Magdalene Sisters de Peter Mullan, lauréat du Lion D’Or à la Mostra de Venise 2002, mais s’en distingue par son approche : ici, le regard est celui d’un témoin, et non d’une victime. Effectivement, Tu ne mentiras point positionne Bill comme une boussole morale du récit. Cette distance narrative interroge non seulement les choix des personnages, mais aussi ceux des spectateurs : serions-nous restés silencieux, nous aussi ? Cette mise en miroir renforce l’impact du récit et la dénonciation d’un ordre religieux tout puissant.
Les personnages secondaires, s’ils ne manquent pas de justesse, sont moins développés, et servent avant tout à approfondir la figure centrale de Bill. Il s’agit peut-être du seul véritable défaut du film.
Porté par une mise en scène d’une grande sobriété et une performance magistrale de Cillian Murphy, Tu ne mentiras point s’impose comme une oeuvre de conscience plus que de confrontation, qui ne cherche ni le choc, ni le pathos.