Vaste programme, que d’adapter un ouvrage de Philip Roth. D’autant plus lorsqu’il s’agit de Tromperie, son livre à la narration la plus déconstruite. C’est pourtant ce qu’a tenté Arnaud Desplechin. Tenant plus du théâtre filmé que du cinéma à proprement parler, Tromperie est un demi-échec pour son cinéaste, qui n’aura finalement pas réussi à tordre le cou aux détracteurs : ce roman semble bien être le plus inadaptable de toute l’œuvre de Philip Roth.
Bien établi dans le cinéma français, Arnaud Desplechin s’est certainement essayé avec Tromperie à l’exercice de style le plus difficile de sa carrière. En effet, comment adapter un roman fait de conversations, dans des lieux décrits au strict minimum, sans autre information sur les personnages que celles qu’eux-mêmes veulent bien nous donner ?
Là est, en quelque sorte, l’originalité de Tromperie, un film de chambre qui suit les vies de deux amoureux adultérins, Philip Roth lui-même et une femme anglaise (Léa Seydoux) mal dans son mariage. Autour du personnage de Roth gravitent quatre autres femmes (son épouse, une amie malade, une réfugiée tchécoslovaque et une étudiante angoissée), avec lesquelles il a entretenu des relations, et qui tissent en creux le portrait complexe d’un homme autant perdu qu’il est lucide.
Toutes les femmes de sa vie
Vu la teneur du récit de Philip Roth et le peu de place qu’il laisse à l’expression cinématographique, Tromperie est avant tout un film poseur, sans qu’il soit pourtant possible de le reprocher à Desplechin. Dans le studio de Philip Roth ou les quelques autres pièces sans âme qu’il parcourt, les conversations s’enchaînent, montrant l’évolution, ou plutôt la stagnation, sentimentale et émotionnelle des deux personnages principaux. Dans une œuvre telle que celle-ci, où les dialogues sont d’une précision extrême et d’une grande richesse, bien choisir ses acteurs a certainement été le plus important.
Pour camper Philip Roth, Denis Podalydès s’impose dès les premières minutes comme une évidence. Jouant parfaitement les nuances entre l’apparente froideur de son personnage et son feu intérieur, Podalydès livre une interprétation vraiment remarquable. Tout ce qu’il fait et dit sonne vrai, et c’est d’autant plus notable que le style d’écriture de Philip Roth, et par extension des scénaristes (Desplechin et Julie Peyr), est extrêmement difficile à incarner au cinéma. En face de lui, le film déroule les portraits de cinq femmes qui ont compté dans sa vie. Si le personnage de Léa Seydoux est l’archétype de la bourgeoise mal dans sa peau, les autres personnages apportent une subtilité nouvelle, par leurs névroses, leurs angoisses et la faiblesse qu’elles éprouvent pour un homme qu’elles n’arrivent pas à déchiffrer.
Il est malheureux que Léa Seydoux ne réussisse pas à se démarquer du sérieux de son personnage pour lui donner une réelle profondeur. Tout au long du film, celle qui tient l’autre rôle principal ne convainc pas, donnant plus l’impression de réciter que de jouer. Un raté d’autant plus frustrant que son personnage brille par l’intelligente complexité de ses sentiments, et donne au film toute la qualité qu’il perd avec la fadeur de sa mise en scène.
Un roman inadaptable ?
L’histoire du cinéma est pleine de huis clos qui réussissent – au-delà de l’obstacle inhérent à leur genre -, à insuffler de véritables idées de cinéma. Pêle-mêle, on pense à 12 hommes en colère (1957) de Sydney Lumet, Le Limier (1972) de Joseph L. Mankiewicz, My Dinner with André (1981) de Louis Malle ou encore The Sunset Limited (2011) de Tommy Lee Jones. Bien malheureusement, Tromperie n’est pas de ceux-là. Déjà alourdi par ses dialogues, le film ne dépasse jamais l’ambiance trop feutrée de ses décors. En résulte une œuvre où l’ennui n’est jamais loin. Et pour peu que le spectateur perde le fil ou ne se sente pas concerné par les pensées de Roth, Tromperie peut vite devenir nombriliste, énième émanation d’un cinéma d’auteur qui déjà n’a pas bonne presse en France. Sans ce souffle propre au cinéma, le film de Desplechin paraît quelque peu vain.
Vain dans son approche tout en étant sauvé par la fine analyse psychologique qu’il fait du méandre des émotions humaines, Tromperie est une œuvre mineure dans la filmographie d’Arnaud Desplechin. Restent quelques petites fulgurances, comme cette scène de procès où le personnage de Denis Podalydès subit un procès en sexisme intenté par ni plus ni moins que la gent féminine elle-même, une symbolique bienvenue au cœur d’un film qui a du mal à ne pas être plat.
Tromperie est disponible en DVD/Blu-ray chez Le Pacte depuis le 4 mai