The Sweet East de Sean Price Williams : À l’est, rien de nouveau

Sean Price Williams

Sean Price Williams a d’abord fait ses preuves en tant que chef opérateur d’une nouvelle branche du cinéma américain indépendant (Joshua et Ben Safdie, Alex Ross Perry, …). Un cinéma du mouvement, de la caméra portée, dans la lignée du mumblecore, et avec, par conséquent, un affect particulier pour la pellicule et sa matérialité. The Sweet East ne déroge pas à la règle.

Dans un montage effréné, parfois même clippesque, The Sweet East emprunte au geste du road-movie et balaye le territoire américain d’Ouest en Est. Si la proposition a du charme, l’exécution s’écroule sous un certain maniérisme et des personnages grossièrement dépeints.

« Lillian (Talia Ryder), jeune lycéenne, fugue durant un voyage scolaire. Au fil de ses rencontres, elle découvre un monde insoupçonné. Les fractures des États-Unis, filmées comme un conte de fées ou une variation d’Alice au pays des merveilles. »

Talia Ryder dans The Sweet East
© Potemkine Films

État des lieux

Lorsque l’Amérique va mal, elle prend la route. Ce fut New York-Miami en 1934, réponse à la Grande Dépression ; puis Easy Rider ou encore Macadam à deux voies, comme prolongement du mouvement hippie des Seventies. The Sweet East se construit en écho à un certain état de fait de l’Amérique, celui d’un pays malade. Le road-movie n’est plus ici symbole d’une fuite, mais d’un outil endoscopique, la caméra voyage pour déceler la maladie. Nous suivons ainsi l’héroïne, Lillian, figure neutre, qui navigue entre les groupes sociaux, des activistes de gauche radicale à un professeur d’université membre de l’alt right. En somme, traversant le territoire et ses populations, Sean Price Williams créé, par l’intermède de Lillian, du lien entre des communautés hétéroclites.

Le projet est attrayant. Faire d’un film une balade entre des personnages et des paysages, où les rencontres se font au gré du hasard et finissent par converger. Cependant, le réalisateur ne parvient jamais à dépasser le regard qu’il porte sur son actrice. Son jeu flegmatique est charmant, mais, chevillé à son corps, le film finit par se retourner sur lui-même et a opéré en vase clos.

Alors, de l’Amérique d’aujourd’hui, nous ne voyons que très peu de choses. Reste une galerie de personnages aux apparitions furtives. Mais ici, l’aspect éphémère de leur rôle, accompagné d’un montage surcuté, ne se retrouve que dans leur caractérisation clichée, pour ne pas dire grossière. Exaltant l’agressivité de ces groupes sociaux, avec un plaisir qu’il dissimule peu, Sean Price Williams n’en décèle jamais les origines. Comme si la violence s’inscrivait dans la chair même des personnages, et n’est ainsi, jamais questionner ou questionnable.

La captive aux yeux clairs

Inutile de remonter à La Prisonnière du désert pour retrouver un personnage de jeune fille en fuite. Récemment, Master Gardener se voulait une énième variation autour de ce thème. The Sweet East se construit sur des bases similaires. Poussée par une pulsion qui la dépasse, Lillian prend la route, quitte son foyer et sa communauté. Unique absent de l’équation, ni Travis Bickle, ni Ethan Edwards ne part à sa recherche.

Alors, Lillian vogue et divague, portée par le vent et ses rencontres qui ne semblent qu’effleurer son corps sans jamais l’affecter. Tantôt Lolita, tantôt Coffy, elle se moule à travers le regard des autres. Le personnage de Lillian devient ainsi un mirage, un fantasme pour les êtres qu’elle croise. Absolument apolitique et docile, néonazis et terroristes ne seront pour elles que des moyens de locomotion. Ainsi, Lillian est une page blanche sur laquelle Sean Price Williams s’amuse à écrire. Si bien que, telle une Vamp, elle aspire les histoires de ses précédentes rencontres pour se créer la sienne.

Le lys brisé

« Tu es une apparition » dit-on à Lillian. Belle trouvaille du réalisateur pour ne jamais développer d’ancrage socio-économique à son personnage. Car en somme, Lillian n’existe pas, elle est symbole. En cela, le film établit un parallèle explicite entre Lillian et les Etats-Unis, sorte de prolongement de ce que pouvait incarner Lillian Gish un siècle plus tôt.

Symptôme d’un pays en quête profonde d’identité depuis sa fondation, celle de Lillian est floue et n’en devient que superficielle. Comme tout du long, The Sweet East reste en surface et ne se retourne jamais vers ce qui préexistait à sa matière pour y déceler les conditions de son présent. Triste résultat d’un film dont le principal sujet se devait d’être, comme l’indique le titre, un territoire et donc les marques du temps passé sur le monde qui l’entoure.

© Potemkine Films

The Sweet East porte une proposition alléchante, mais ne parvient jamais à dépasser son postulat de base. Faute à un montage frénétique peut-être, ou à un goût trop prononcé pour l’image en soi, le film ne parvient que rarement à réellement saisir quoi que ce soit de l’Amérique d’aujourd’hui. N’en demeure alors qu’un objet de fétiche, Lillian et la pellicule qui la capte.

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