Prix du scénario et partage en masse sur les réseaux. C’est tardivement, le 6 novembre, que la France découvrira The Substance, film-laboratoire et nauséeux de Coralie Fargeat.
Le travail du corps est une vieille obsession d’artiste, les cinéastes n’y font pas exception. Par quel moyen de torture pouvons-nous questionner cette identité de chair et d’os ? Coralie Fargeat, dans la droite lignée de son travail, repousse de manière grotesques et hilarantes les limites de ce sac de peau et de fluides.
« Avec The Substance, vous pouvez générer une autre version de vous-même, plus jeune, plus belle, plus parfaite. Il suffit de partager le temps. Une semaine pour l’une (Demi Moore), une semaine pour l’autre (Margaret Qualley). Un équilibre parfait de sept jours. Facile n’est-ce pas ? Si vous respectez les instructions, qu’est ce qui pourrait mal tourner ? »
Prends-moi ! (aux tripes)
Vendu (à raison) sur l’extrémisme de son body-horror, The Substance est très vite devenu un phénomène. Notamment pour ses trente dernières minutes qui surpassent, en horreur corporelle, d’autres productions se voulant déstabilisantes comme le tout-récent Terrifier 3.
Mais là où ce dernier se sert du corps comme objet simplement transgressif et stylistique, The Substance le fait à des fins scénaristiques. L’enjeu du film se trouve dans l’œil. D’abord celui d’Elisabeth Sparkle (Demi Moore), dont la pupille, dès sa transformation, se démultiplie annonçant une perte de repères. Celui de Sue (Margaret Qualley), qui très vite s’imbibe du regard vicié du dégoûtant Harvey, pour se poser non sans moins de dégoût sur son corps d’origine. Et il y a bien sûr celui du spectateur, qui est symboliquement transposé dans la lentille des caméras. Lui observe une déformation plus interne du double-personnage Elisabeth-Sue.
C’est une constante déjà traitée dans les films précédents de la réalisatrice. Son court-métrage Reality + (2014) présentait déjà, sous un aspect plus numérique, cette utilisation et ré-organisation de l’espace social à travers l’image renvoyée. On retrouvait d’ailleurs déjà ce tableau du dos formant l’ouverture possible, le canal d’arrivée de la nouvelle apparence.
Hellraiser et barbie-girl
L’apparence, parlons-en. Le film joue de la sienne. Dans sa bande-annonce, il nous fait penser à un film d’horreur pop. Son ouverture mime la séquence des toilettes de Shining (1980, auquel le film fait de récurrents clins-d’oeil). Et le dernier acte rappelle carrément le grotesque de Society (1989).
De ce dernier, The Substance garde également la satire sociale. Plus que l’évident message portant sur l’acception de soit passant la regard extérieur, il pose également la question du rapport féminin au corps. A travers son propre regard sur sa féminité, comme celui que ledit corps impose voir expose, le film nous pointe du doigt. Nous, entre deux plans sur les fesses de Margaret Qualley. L’absurdité de certaines scènes brise rapidement et brutalement la sensualité exacerbée par la télévision, et fonde un autre ressort puissant du film qui n’est que trop peu mis en avant : son humour.
Tout du long, le film s’infuse lentement et par petite touche d’un humour à la fois acerbe et efficace. La séquence d’introduction, sans être hilarante, se permet quelques soubresauts comiques qui prennent en réalité toute leur saveur à la fin du métrage. Plusieurs « fusils de Tchékov » sont disposés ça et là, qui sont assez savamment agencés pour récompenser le cinéphile attentif, sans pénaliser le spectateur plus passif.
Double-volte-face
Cette attention à une double lecture fait par ailleurs écho à la sève première de ce projet : l’identité. La force de The Substance est dans sa duplicité. D’un film d’horreur frôlant l’expérimental, on saute à une comédie satirique. Et la duplicité à la fois du personnage principal et de notre propre regard (à qui devons-nous accorder notre empathie?) traverse le film sous tous ses aspects.
D’un plan coloré, rehaussé de la photographie contrastée et saturée, jusque dans le manteau jaune d’Elizabeth, on passe au blanc chirurgical reflétant la pâleur de la peau nue de Sue. Comme à la vieillesse on confronte la jeunesse, ces dédoublements sont présentés comme un état de guerre permanents. Les doubles ne peuvent cohabiter car tout semble oublier cette phrase prononcée jusque dans la bande-annonce : « Vous n’êtes qu’un(e). »
De là naît une confrontation continue entre les deux protagonistes. Puis de ce combat (pas si) intérieur dégouline un autre, contre le monde. Contre le regard masculin, puis le regard médiatique. Contre la bienséance, contre la vieillesse, contre les diktats de beautés et les standards médicaux.
Film excessif et excellent, The Substance est d’abord un repoussoir. Dans sa forme comme son fond, c’est pourtant un film à la fois extrême et subtil. Un savant mélange de gore grotesque et d’une mise en scène nette et précise. Une mise en avant de son fond par sa forme, dont chaque image gagne de la richesse des précédentes.