Dans The Card Counter, un ancien militaire devenu un expert en jeu de cartes fait la rencontre de Cirk, un jeune homme tourmenté par son envie de vengeance.
Chaque nouveau film de Paul Schrader est attendu comme le messie par les amateurs de cinéma. Particulièrement ceux qui apprécient celui du Nouvel Hollywood qui débuta à la fin des années 1960. Il est l’auteur derrière Taxi Driver, Obsession, Raging Bull ou encore La Dernière Tentation du Christ. Si sa filmographie en tant que réalisateur reste très inégale, on retiendra parmi eux Blue Collar, La Féline ou encore Mishima : Une vie en quatre chapitres. Son dernier film Sur le chemin de la rédemption, sans doute un de ses meilleurs, n’a pas connu une sortie digne de ce nom. Pour notre plus grand plaisir, The Card Counter sort sur nos écrans.
L’As des As
Dans la continuité de son dernier film, Paul Schrader est fidèle à ses principes. Il utilise une image quasi-documentaire pour nous plonger dans la réalité du monde de la nuit. Une nuit semblant artificielle à nos yeux. Dès son générique, l’insert sur le tapis de cartes nous permet de comprendre qu’il s’agira d’un film intimement lié à elles. Tout comme Adam Mckay dans The Big Short ou Vice, le spectateur n’est pas considéré comme un moins que rien. De fait, le film développe un sujet plutôt simple (le poker et les jeux de cartes) de manière pointue. On découvre immédiatement la réalité de ce milieu et la complexité du comptage, dans lequel excelle William Tell.
Impossible de ne pas penser au cultissime Casino de Martin Scorsese lorsque l’on voit Oscar Isaac se balader comme chez lui dans des kursaal. De l’intérieur des casinos moins bling-bling, aux extérieurs filmées en hauteur… Tout souligne l’importance de ces grandes infrastructures dirigées par des riches pour des riches. The Card Counter ne sort jamais de ce cadre et continue de rappeler le milieu instable dans lequel évolue William Tell. Paul Schrader n’oublie pas de citer explicitement Le Kid de Cincinnati de Norman Jewison. Une référence évidente pour la construction de ses personnages et dans la représentation de ce sport intense.
« Hello Darkness my old friend…«
Si The Card Counter fonctionne aussi bien, c’est avant tout grâce à l’écriture de son personnage principal. Ce dernier est torturé par son passé et dans un mal-être qu’il ne laisse pas paraître. William Tell est certes moins instable que Travis Bickle dans Taxi Driver. Mais il est loin de pouvoir se réfugier dans la foi comme le révérend Ernst Toller dans Sur le chemin de la rédemption. En fait, William Tell vit pour jouer et joue pour vivre. Le film prolonge l’utilisation récurrente de la voix-off dans ce qui semble prendre le dessus sur le quotidien de William, parfois même pendant des discussions. Un personnage sombre (littéralement, puisqu’il est toujours habillé en noir) habitué à une routine qu’on ne peut séparer de son passé.
Sa mise en scène, calculée au millimètre près vient accompagner les pensées et l’aura d’un personnage insaisissable. La caméra suit toujours le personnage (et non pas le contraire) et les champs contre champs sont souvent très serrés. Ceci offre très peu de place à un débordement, accentuant ainsi le contrôle absolu du personnage. Derrière cette impression de maîtrise qui parcoure toute la première partie du film, le film change radicalement à partir de sa rencontre avec d’autres personnages. D’abord le Major John Gordo, interprété par son acteur fétiche Willem Dafoe. Ensuite La Linda qui représente son agent (Tiffany Haddish). Enfin Cirk qui est le moteur du film dans sa quête de rédemption (Tye Sheridan). Quant à son passé lié à sa vie de militaire, il surgit à travers un fisheye extrême. Il représente l’oppression et l’angoisse qui découle de ce lieu et de ces souvenirs…
Quand Oscar Isaac explique en plan-séquence les violences qu’il faisait subir et le fonctionnement de cette cellule de torture dans son passé, le spectateur prend conscience du grand film qui se déroule devant lui. A la fois près et loin de son premier grand succès en tant que scénariste que fut Taxi Driver, Paul Schrader épate par sa justesse d’écriture et par sa précision du cadre.
Pingback: The Wild One : 5 bonnes raisons de voir le documentaire | Critiques