Springsteen : Deliver Me From Nowhere de Scott Cooper : Bruce l’impuissant

Springsteen : Deliver Me From Nowhere de Scott Cooper

Springsteen : Deliver Me From Nowhere explore la face cachée du Boss. Scott Cooper (Hostiles, Les Brasiers de la colère…) filme un artiste rongé par la dépression, tandis que Jeremy Allen White donne corps à l’ombre d’un mythe.

Un biopic audacieux sur le papier, qui trouve sa force dans la mélancolie et la justesse de ses interprètes, mais peine à s’affranchir d’un certain classicisme de forme.

« En 1982, au sommet de sa gloire naissante, Bruce Springsteen (Jeremy Allen White) traverse une profonde dépression. Isolé dans son appartement du New Jersey, il affronte les blessures de son enfance et cherche à donner un sens à sa détresse à travers la musique. »

Jeremy Allen White et Jeremy Strong dans Springsteen : Deliver me from Nowhere
© 2025 20th Century Studios

Nowhere boy

Le film s’ouvre sur la fin de la tournée The River. Springsteen, trempé de sueur, charismatique est déjà considéré comme un dieu du rock en devenir. C’est la dernière fois que l’on le voit éclatant de vie et de puissance avant que le récit ne bascule dans l’introspection. Vidée, la rockstar s’isole dans son New Jersey natal et affronte ses souvenirs d’enfance qui refont surface (à grand renfort de flashbacks en noir et blanc). On y découvre un père mutique, alcoolique, violent, (incarné par Stephen Graham) et une jeunesse marquée par la peur et l’incompréhension.

Même si l’on reste dans le cahier des charges du biopic, ces scènes filmées à hauteur d’enfant, révèlent le cœur du projet : l’homme derrière la légende, le gamin meurtri sous la carapace du Boss.

Smells Like Springsteen Spirit

Dans la solitude d’un appartement, Springsteen tente de donner forme à sa détresse. Il regarde La Balade Sauvage, écoute Frankie Teardrop (attention les oreilles), se balade dans son ancien quartier et s’enregistre seul sur un magnétophone quatre pistes. De ces sessions nocturnes naîtront douze morceaux dépouillés : Nebraska. Un album folk, entre The River et Born in the U.S.A qui marque la mue de Springsteen : du triomphe collectif à la solitude absolue.

Scott Cooper traduit ce passage à vide en filmant les silences, les gestes las, les regards qui ne savent plus où se poser. On voit Springsteen face à la page blanche et la guitare comme rempart contre le vide. Il rature, hésite, ajuste les paroles de Mansion on the Hill ou Atlantic City, et décide de raconter l’histoire de Starkweather (le tueur incarné par Martin Sheen dans Badlands) à la première personne. Cooper capte ainsi un moment de vulnérabilité rare, où la création devient exutoire et presque un acte de survie. « Je ne veux pas que ce soit parfait, je veux que ça sonne juste », dit Bruce à son manager Jon Landau (Jeremy Strong).

Double dose de Jeremy

Jeremy Allen White (le chef torturé de The Bear) insuffle une intensité rare au personnage. Sa performance repose en grande partie sur la retenue, la tension du silence, le poids du non-dit. Il ne cherche jamais à imiter Springsteen : il l’habite dans ses gestes minuscules, dans les épaules voûtées, dans un regard perdu entre le doute, l’épuisement et la honte. Plus important encore, il chante lui-même sur certains morceaux, capturant parfaitement la voix rauque du Boss.

À ses côtés, Jeremy Strong (Succession) campe un Jon Landau sobre et rassurant, producteur et figure d’ancrage face à la tempête intérieure du chanteur. Leur duo devient le cœur battant du film :  Deux hommes liés par la confiance et la fidélité, cherchant ensemble la lumière au milieu du doute.

Bored in the USA

Ce parti pris intimiste distingue Deliver Me From Nowhere de la plupart des biopics musicaux, souvent écrasés par le spectaculaire de la vie d’artiste. Ici pas d’overdose, d’excès ou de scandale: juste une dépression profonde et longue comme une autoroute américaine. Malheureusement, Scott Cooper n’ose pas creuser la faille jusqu’au bout et la sobriété du sujet vire parfois à la léthargie.

Peu de ruptures de ton, peu d’élans de cinéma. Là où l’album Nebraska fascinait par sa rugosité et son étrangeté, le film reste trop poli et plus illustratif que viscéral. Chaque silence paraît calculé, chaque plan cherche la beauté feutrée au détriment du désordre. Ironiquement, Deliver Me From Nowhere ressemble à ce que Columbia Records a d’abord voulu faire de Nebraska : un album nettoyé, remasterisé et formaté pour le grand public.

Pourtant, le film conserve une sincérité indéniable. Scott Cooper ne mythifie pas Springsteen mais cherche à comprendre ce qui, derrière la gloire, l’a presque brisé. En ce sens, Deliver Me From Nowhere capte un moment essentiel : celui où la création devient le seul refuge. Reste l’élégance du geste, la beauté mélancolique des routes du New Jersey en automne, et la justesse de Jeremy Allen White qui rend hommage à l’ombre d’un homme que l’Amérique n’a vu qu’en pleine lumière.

Jeremy Allen White en Bruce Springsteen dans Springsteen : Deliver me from Nowhere
© 2025 20th Century Studios

Loin de la rockstar, Springsteen: Deliver Me From Nowhere explore les silences d’un artiste à bout de souffle. Si le film souffre de sa mise en scène trop sage, il tire sa force de son regard sur la vulnérabilité et de la performance de Jeremy Allen White.

 

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