Sons de Gustav Möller : Double Peine

sons gustav moller

Après l’épatant The Guilty, le réalisateur suédo-danois Gustav Möller frappe à nouveau très fort avec Sons, thriller carcéral âpre et glaçant.

Succès critique et public en 2018, The Guilty, premier long métrage de Gustav Möller, a rapidement fait l’objet d’un copié-collé made in Hollywood réalisé par Antoine Fuqua. Boosté par la tête d’affiche Jake Gyllenhaal et sa diffusion sur Netflix à l’automne 2021, ce remake américain n’est pourtant jamais à la hauteur de l’œuvre originale. On vous conseille donc, si ce n’est déjà fait, de découvrir le film de Möller. Suite à ce premier essai réussi, la crainte était que ce prometteur réalisateur suédo-danois ne s’envole outre-Atlantique pour finir harponné par les studios américains. Mais surprise, on le retrouve avec entrain dans son Danemark natal pour Sons, avec la géniale Sidse Babett Knudsen dans le rôle principal.

« Eva (Sidse Babett Knudsen), gardienne de prison exemplaire, fait face à un véritable dilemme lorsque Mikkel (Sebastian Bull Sarning), un jeune homme de son passé, est transféré dans l’établissement pénitentiaire où elle travaille. Sans dévoiler son secret, Eva sollicite sa mutation dans l’unité du jeune homme, réputée comme la plus violente de la prison. »

Gustav Moller Sons
© Les Films du Losange

Mon nom est Möller

Évoquer The Guilty en introduction parait à propos puisque Sons, sans être dans la continuité narrative du premier film de Gustav Möller, confirme le style âpre et hautement maîtrisé du réalisateur, ainsi que son talent certain pour le thriller à suspense. Après un huis clos éreintant dans le centre d’appels d’un commissariat, Möller nous embarque aujourd’hui entre les quatre murs d’une prison danoise, dont on ne s’échappe qu’à la dernière partie du film. Sons permet une nouvelle fois au réalisateur d’expérimenter ce qui rend The Guilty mémorable : effacer le huis clos initial au profit d’un thriller mental et immersif. Tandis que l’étiquette élogieuse de « nouveau maître du suspense » plane sur Möller depuis son premier long métrage, son deuxième opus la confirme.

Énième film carcéral et huis clos à concept, Sons tire pourtant son épingle du jeu grâce à un scénario basé sur la rareté de ses dialogues, et une mise en scène au service de ses personnages et de l’espace dans lequel se déroule l’intrigue. La binarité habituelle du film de prison (dedans/dehors, détenu/gardien) est ici embuée par l’ambiguïté des protagonistes et l’équilibre fluctuant entre psychodrame et thriller brutal.

Möller utilise l’architecture froide et géométrique du pénitencier pour mieux emprisonner physiquement, et mentalement, Eva et Mikkel. Cela passe par de nombreux surcadrages, juxtaposant régulièrement barreaux, grilles, vitres et autres cloisons sur le format carré (1.37) du film, véritable métaphore visuelle d’une cellule. Le spectateur se retrouve parachuté entre les murs de la prison, au plus près des personnages.

Eva, (re)lève-toi !

Au delà du film en milieu carcéral, Gustav Möller s’applique à capter les déchirements internes d’une femme qui perd pied et finit par ne plus se (re)connaître. En effet, Eva est au départ présentée comme une gardienne bienveillante et à l’écoute, donnant des cours de méditation et n’hésitant pas à aider les prisonniers. L’arrivée de l’impulsif Mikkel signe la métamorphose profonde d’Eva, qui va dès lors prendre le sentier dangereux de la haine et de la vengeance. Sa bonté se mue en violence, frôlant les limites du sadisme. Et si les premières représailles d’Eva contre Mikkel peuvent s’avérer jouissives, on se retrouve bien vite honteux lorsque la relation toxique entre les deux personnages part totalement en vrille.

Matonne, prisonnier, victime, bourreau… Les rôles s’inversent régulièrement entre Eva et Mikkel, laissant libre court à une vengeance qui va crescendo, dont découle inéluctablement le bouleversement des valeurs morales. Pour cette femme pleine d’empathie qui dépasse les limites, mais aussi pour le spectateur, balloté émotionnellement entre ces protagonistes bourrés de nuances au bord de l’explosion. La puissance épatante de ce face-à-face passe par les regards et les coups portés à l’autre plus que par les mots.

Dans cette économie de dialogues bienvenue, Gustav Möller consolide âprement son scénario et lui offre la noirceur et l’intensité nécessaires pour maintenir une large pression sur le spectateur. La séquence tendue de déjeuner entre Eva, Mikkel et sa mère, parmi tant d’autres, cristallise l’incapacité à communiquer des différents personnages et l’enfouissement de leurs souffrances sans parvenir à se libérer du passé.

Sons 3
© Les Films du Losange

Prison sans Break

Hypnotisants, Sidse Babett Knudsen et Sebastian Bull Sarning sont de chaque plan et livrent deux performances qui feront date. Tout en retenue, les deux comédiens fascinent malgré leur peu de répliques, de gestes et d’expressions. La complexité de cette femme tortionnaire et torturée, et de ce prisonnier paumé et imprévisible, n’en est que plus touchante. Personnages au relief poignant, on garde longtemps en mémoire ce duo détonnant après visionnage, tant la tension et l’énergie qui existent entre eux prennent aux tripes. Sons ébranle par sa qualité d’interprétation et sa narration d’une profonde noirceur pour mieux créer un sentiment d’étouffement.

Explorant les thèmes de la vengeance, de la rédemption et du pardon, Gustav Möller interroge les limites de la réinsertion des prisonniers et les contradictions du système judiciaire contemporain. Punition et revanche, ou pardon et réhabilitation ? Un choix cornélien qui dépend du profil de chaque condamné. Et si le système carcéral tente souvent de concilier ces deux approches, on ne peut s’empêcher d’y voir une opposition délicate, et de voir resurgir l’éternelle interrogation du droit à une seconde chance. Sons nous laisse aussi avec un constat immuable, qui en laissera démuni plus d’un.e : on ne peut sauver quelqu’un qui ne se sauve pas lui-même.

Avec Sons, Gustav Möller livre un huis clos carcéral intense sur la bataille implacable pour atteindre une once de pardon et de liberté. Un film porteur de vérités inconfortables parmi les plus puissants de ces derniers mois.

 

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