Slalom : L’abominable homme des neiges

Au cinéma, les relations de maitre à élève sont devenues, au fil des occurrences, un genre à part entière. De la figure du pygmalion de Une Etoile est Née, à celle du professeur harceleur et toxique de Whiplash, les variations sont nombreuses, heureuses ou malheureuses, douces ou violentes, amoureuses ou amicales. Slalom, premier long métrage de Charlène Favier, aborde le sujet par son versant le plus dur…

Lyz (Noée Abita), adolescente réservée et grand espoir du ski alpin, intègre la section sport-étude d’une prestigieuse pépinière de descendeurs. Son professeur, l’exigeant Fred (Jérémie Rénier) la rudoie quelque peu afin qu’elle exprime son plein potentiel. L’ancien champion a des méthodes d’entrainement « à l’ancienne » pense d’abord le spectateur, un paternalisme rugueux à la limite du harcèlement. Cela interpelle. Mais la jeune Lyz progresse et remporte ses premières victoires… une fin qui justifie bien souvent tous les moyens. Slalom semble alors se diriger sur les pistes d’un récit initiatique triomphant et balisé, pardonnant les quelques écarts de l’entraineur. C’est le moment où l’intrigue trace hors-piste et bascule dans le drame.

Slalom

Les violeurs font du ski

Comme dans Mysterious Skin où l’entraineur de base-ball, l’homme de confiance, devenait le prédateur pédophile, le récit se fait glaçant. Charlène Favier évite soigneusement le biais romancé de la Lolita de Nabokov, et les actes criminels de l’entraineur nous sont montrés dans toute leur crudité. Aucune poésie ne volera la gravité du crime commis ici, aucune romantisation des faits ne sera permise par la mise en scène. Favier explique la part autobiographique de son film, ayant personnellement connu des violences sexuelles dans le milieu sportif. La caméra n’esthétise plus, elle hyperbolise.

Cette volonté de ne pas valoriser l’innommable, n’empêche cependant pas le film de soigner ses plans et ses cadres. La subtile photographie du productif chef-op Yann Maritaud (Mignonnes, Terrible Jungle, sortis en 2020) sculpte ainsi une ambiance visuelle proche du cinéma d’horreur, raccord avec le fond du sujet. Les cimes enneigées sur lesquelles tombe la nuit, l’atmosphère pétrifiée rappelant Shining, cristallisent la faillite morale de l’abominable homme des neiges, piégeant l’héroïne dans le labyrinthe de sa perversion. La bande-son électro du groupe parisien Low Entertainment, après avoir sonorisé les films de Thomas Lilti, enveloppe les montagnes de leurs inquiétantes mélodies carpenteriennes.

Balance ton sport

Tout cela ne va pas sans quelques fautes de carres. Malgré ses qualités techniques remarquables, on pourra regretter que le scénario de Slalom ne parvienne pas à quitter le fait divers personnel pour l’histoire canonique, et que la trajectoire sinueuse des protagonistes s’achève dans une forme de trop banale normalité. Ainsi, le beau personnage incarné par Noée Abita (révélation du film), victime mais jamais victimaire, ne semble jamais réaliser la gravité de son emprisonnement mental, à l’aune de la jeunesse de ses 15 hivers. Celui de Jérémie Rénier, ambigu lors des premières scènes, parait de moins en moins humain au fur et à mesure du métrage, pour devenir un archétype maléfique sans remords ni conscience de ses actes. On pourra également trouver son sort final bien trop favorable… Mais dans notre monde réel, trop souvent, les violeurs ne courent-ils pas encore ?

Slalom

Malgré ces réserves, sur un sujet particulièrement délicat à traiter, le film de Charlène Favier s’affirme comme un jalon important dans le récit des violences sexuelles dans le sport, un milieu où l’omerta sur ces agissements est encore très présente. Sélectionné en compétition officielle d’un Festival  de Cannes 2020 escamoté par la crise du Covid-19, Slalom n’a malheureusement pas bénéficié de la couverture médiatique réservée aux films retenus. Une raison supplémentaire pour aller le voir, et ressentir vertiges et frissons polaires depuis son siège de cinéma.

Laisser un commentaire