Après Maid, la showrunneuse américaine Molly Smith Metzler est de retour sur Netflix avec la série Sirens.
Molly Smith Metzler nous a ému aux larmes en 2021 avec sa mini-série Maid, portée par la fascinante Margaret Qualley, et la présence, entre autres, de sa génitrice à l’écran comme dans la vie Andie MacDowell. Avec Sirens, la créatrice américaine fait une nouvelle fois la part belle aux femmes en adaptant librement sa propre pièce Elemeno Pea, écrite lorsqu’elle étudiait à la Juilliard School (prestigieux conservatoire supérieur privé de musique et des arts du spectacle de New York). Boostée par son casting cinq étoiles et la participation de Margot Robbie en tant que productrice déléguée, la série Sirens tient-elle toutes ses promesses ?
« Devon (Meghann Fahy) pense que sa sœur Simone (Milly Alcock) entretient une relation toxique avec sa nouvelle patronne, l’énigmatique et mondaine Michaela Kell (Julianne Moore). La vie luxueuse de cette dernière est comme une drogue pour Simone, et Devon décide qu’il est temps d’intervenir. Lorsqu’elle retrouve sa sœur pour lui dire le fond de sa pensée, elle n’a aucune idée de la résistance que va lui opposer Michaela. »

The Colorful Lotus
Si certains.es d’entre vous s’attendent à découvrir Julianne Moore en femme poisson, vous allez être déçus. Quoique. S’il n’y a effectivement pas de sirènes dans la série, la mise en scène offre tout de même un petit quelque chose d’enchanteur. En effet, les séquences revêtent quasi toujours des tonalités colorées et saturées, de la robe rose de Simone aux fleurs qui ornent le jardin des Kell. Seule Devon, toute de noir vêtu à son arrivée, détonne dans cet univers riche en couleurs et en flouze. Difficile de ne pas rapprocher Sirens de la série The White Lotus à la vue de ces plans tape-à-l’œil aux couleurs chatoyantes, ces personnages blindés dictés par le paraître et un personnel de maison bien plus enclin à la survie qu’à la vie, faute de choix.
Pourtant, Molly Smith Metzler parvient à créer son identité propre et livre un récit plus sombre et caustique encore que la série anthologique de Mike White. S’amusant avec différentes strates d’humour, la showrunneuse nous balade de rires en malaises. Parsemée de gags qui fleurent bon le burlesque, la mise en scène foisonnante de Sirens oscille constamment entre des scènes pleines de démesure, d’extravagance, d’humour et de théâtralité, et d’autres bien plus intimistes, qui nous ferait presque croire à une esthétique « Sundance ». On est donc loin du pur produit Netflix, reconnaissable entre mille, qui manque souvent de mordant et appauvrit l’ensemble.
Poupée de cire, poupée de son
Par le biais de sa caméra, Molly Smith Metzler confère par ailleurs à ses héroïnes une présence tout à fait particulière. Tandis que Simone, campée par l’impeccable et insondable Milly Alcock, prend régulièrement les allures d’une Barbie bien trop lisse pour être totalement innocente et gentille, Michaela (hypnotique Julianne Moore, comme toujours) est quant à elle filmée à coups de lens flares et se révèle être un véritable aimant à lumière. Son personnage se dote alors d’une aura aussi mystérieuse qu’impressionnante. Entre déesse et gourou, difficile pour le spectateur de trancher durant les cinq épisodes qui relatent ce week-end étrange dans la péninsule de Lloyd Neck, au Nord de l’État de New York, à l’occasion d’un gala de charité pour une organisation de conservation des rapaces.
Si cette histoire de rapaces a un écho tout à fait cynique en fin de série, on ne vous en dira pas plus pour garder le suspense. Tandis que Devon (génialissime Meghann Fahy) remue ciel et terre pour récupérer sa petite sœur Simone, l’univers dans lequel semble s’épanouir plus que de raison sa cadette s’écaille progressivement sous nos yeux. Derrière ce jardin millimétré et la bienveillance apparente de Michaela, Devon découvre des employés exploités muets comme des carpes, et surtout une gourou du bien-être bien décidée à faire obéir tout son entourage à coups de sourire Colgate. Avec son ambiance faussement paradisiaque et sa panoplie de personnages égarés, Molly Smith Metzler renoue avec les thèmes qui lui sont chers : le gouffre qui sépare les classes sociales, les familles dysfonctionnelles, mais également la mise en lumière de figures de femmes labyrinthiques.

Le chant des sirènes
Dans cet environnement parsemé de « on dit » et de « qu’en dira-t-on » évoluent en effet des personnages féminins d’une complexité bienvenue. À commencer par Simone, assistante plus maligne et ambitieuse qu’elle ne le laisse croire, qui passe sans sourciller de la rédaction des sextos de Michaela à son mari à la vaporisation des sous-vêtements de sa patronne avec de la lavande. Sans oublier Michaela, aka « Kiki » pour les intimes, véritable sangsue émotionnelle bouillonnante d’agressivité, dont les manipulations se camouflent sans mal sous sa fausse bonhomie. Quant à Devon, serveuse de falafels dévouée à son paternel Bruce (Bill Camp) et sa sœur depuis (bien) trop longtemps jusqu’à sans oublier, elle est le cataclysme humain le plus triste et émouvant du lot.
Grâce à ses héroïnes, Molly Smith Metzler interroge les relations féminines, et le lien émotionnel sous contrat, et sur un fil, entre patron et assistant et les dérives psychologiques qui peuvent en découler. La série dresse surtout le portrait touchant de deux sœurs antipodiques, pourtant unies contre vents et marées, se débattant coûte que coûte pour lutter contre leurs traumatismes.
Et si certains éléments de l’intrigue restent prévisibles et inutilement étirés, avec quelques ventres mous par endroit, Sirens charme pourtant par son enveloppe formelle léchée et inspirée, offrant un contrepoint malin à ses propos sombres. Sirens se permet même une bascule radicale au troisième épisode, démontant tout ce qu’elle a mis en place auparavant, ce qui ne manquera pas de bluffer, ou de frustrer.