On dit souvent en amour que “qui se ressemble s’assemble”. Mais on dit également que “les contraires s’attirent”. À quel adage faut-il donc se fier ? Monia Chokri, Magalie Lépine-Blondeau et Pierre-Yves Cardinal nous proposent des pistes de réflexion avec le délicieux Simple comme Sylvain, présenté à Cannes dans la catégorie “Un certain regard”.
Avec son troisième long-métrage, Monia Chokri nous offre ce qui semble être un film “doudou” à propos du désir féminin, l’estime de soi et les subtilités des relations entre les hommes et les femmes. Sans porter aucun jugement de valeur, Simple comme Sylvain va s’attacher, pendant presque deux heures, à décrypter les constructions sociales qui entravent le sentiment le plus universel : l’amour.
« Sophia est professeure de philosophie à Montréal et vit en couple avec Xavier depuis 10 ans. Sylvain est charpentier dans les Laurentides et doit rénover leur maison de campagne. Quand Sophia rencontre Sylvain pour la première fois, c’est le coup de foudre. Les opposés s’attirent, mais cela peut-il durer ? «
Sophia et Sylvain : cul de foudre immédiat
L’une des premières impressions que l’on pourrait avoir, c’est que Simple comme Sylvain se drape d’un pitch de comédie romantique en somme assez classique. Seulement voilà : c’est en arrivant à la simplicité que l’on s’approche du sens réel des choses. Monia Chokri l’a très bien compris et nous construit un film cyclique dont les comportements, les mots et les actions de ses personnages trouveront inéluctablement leurs échos à des moments charnières. Les trois premières scènes condensent admirablement la quasi-totalité du récit, comme le prologue caractéristique de la tragédie grecque.
Dès les premières minutes, on est emportés par le tempo imposé par la cinéaste. Ce qui peut nous apparaître comme un imbroglio, se révèle être une cadence romantico-comique où la musicalité des dialogues se marie à une diversité musicale illustrant à merveille les différentes séquences du film. Le tout est parsemé de nombreuses références aux théoriciens de l’amour tels que Platon, Spinoza ou encore Bell Hooks qui marquent l’évolution de la situation amoureuse de Sophia.
Au-delà de la narration brillante, c’est l’acuité émotionnelle accordée aux personnages qui est saisissante. Dans une ambiance onirique digne d’un Disney, et usant des codes de la comédie romantique – quand on est mouillé par la pluie, l’amour s’ensuit – on assiste à l’éclosion d’une rencontre. Entre deux êtres humains, entre deux classes sociales. Il y a une volonté réelle de partir d’un cliché pour ensuite apporter de la nuance et l’ancrer dans la réalité. La première apparition de Sylvain avec sa carrure imposante en contre-jour, en est la preuve. Il nous paraît bourru, un peu beauf, avant qu’on ne le découvre comme étant un homme au grand cœur et responsable.
Un casting magnétique
Et pour donner vie à ces personnages, sont appelés à la barre Magalie Lépine Blondeau et Pierre-Yves Cardinal. Magnétiques, ils emplissent l’écran par leur présence, leurs mimiques, leur alchimie. La caméra virevoltante et active les enveloppe avec poésie et douceur, appuyant les sous-textes du récit. À coup de “crash zoom”, on observe comme dans un documentaire, le désir sexuel s’éveiller, les règles être transgressées et la manière dont hommes et femmes se comportent dans l’intimité et en public.
L’alchimie entre Sophia et Sylvain est indéniable, et les scènes moelleuses correspondantes à la honeymoon phase se lient à des scènes charnelles, illustrant le désir qui lie les deux personnages. Et si la passion embrase les corps et l’esprit, elle également des pendants moins joyeux. À l’image de l’Amour et de la vie, Simple comme Sylvain se veut protéiforme et ne craint pas les ruptures de ton : on passe de la comédie coquine des 70’s, à la comédie romantique avant d’osciller vers la comédie sociale et le drame sentimental.
Portrait(s) de femme(s)
Si le couple et ses implications jalonnent le récit, c’est aussi l’individualité de Sophia et ses actions qui vont nous guider. Femme quarantenaire, elle commence à ressentir une certaine lassitude vis-à-vis de son mode de vie, de son mari qu’elle considère moins qu’un amoureux et plus comme partenaire. Tout au long du film, Sophia va naviguer dans la galaxie de femmes composant son entourage. Mère, belle(s)-mère(s), belle-sœur, meilleure amie, rivale(s). Célibataire, mariée, infidèle.
La militante afroféministe Bell Hooks disait que la famille est la première école de l’amour. C’est également le cas ici, avec encore une fois la notion de parallélisme. En une seule interaction entre Sophia et sa mère, nous comprenons ce que cette dernière lui a légué, et comment cela se répercute sur sa relation avec Sylvain. Et vice-versa. La question de la charge mentale est également présente, illustrée par des situations différentes, du (gérer le quotidien) au plus complexe (accompagner l’être aimé dans la maladie et la vieillesse). Et au final, qui écoute les femmes, qui fait attention à leurs désirs ? Les cadeaux offerts par les rares hommes présents dans le film sont centrés sur leurs intérêts, leurs désirs.
Sexualité et liberté
Choisir de partir ou de rester ? L’adultère féminin va servir de moteur à l’arc émotionnel de Sophia. Le sous-texte derrière sa rencontre avec Sylvain alors qu’il doit restaurer leur chalet est la première fissure. En s’affranchissant des règles, elle reprend le pouvoir. Avec audace et liberté, elle se ré-approprie sa vie et ses désirs. Les scènes de sexe très explicites vont en ce sens : c’est son désir, ses fantasmes qui sont narrés. La caméra isole chaque partie du corps, embrasse les corps, les visages, les lèvres. Chacune de scènes de sexe raconte quelque chose de beau, de triste, et même de tragique.
Tout en conservant son aspect facétieux, Simple Comme Sylvain montre des femmes complexes, sexuellement libres, qui n’hésitent pas à opposer leurs partenaires – les cerveaux versus les biscoteaux – avec un brin de malice. Seulement voilà, le cocon doré finit par se fissurer au fur et à mesure que les obstacles s’accumulent et qu’aucune relation ne semble profondément satisfaisante. Ne serait-ce pas égoïste d’assumer qu’une seule personne pourrait répondre à tous nos besoins ?
Michel Sardou et écologie
L’implantation de la notion d’amour dans le couple est très récente dans l’histoire de l’humanité. C’est avant tout un système social, politique et inégalitaire. Si le couple de Sophia et Sylvain se veut solide, pour aller plus loin, il faut que leur “union” soit inconsciemment adoubée par les autres. Dès lors, toutes les constructions sociales, les préjugés refont surface et ébranlent les fondations encore sableuses.
La question de l’homogamie est insidieuse, s’inscrivant dans les mots et dans les regards. Dans le monde de Sophia, on parle d’urgence climatique et de la vacuité de certains artistes contemporains. Dans le monde de Sylvain, on parle de la chasse, et on écoute Michel Sardou. La reproduction sociale et culturelle enferme nos personnages dans un cycle dont on se demande s’ils vont réussir à s’échapper. La dernière scène de sexe en est la parfaite illustration : ce qu’ils intériorisent implose et laisse place à des mots, des pleurs qui marquent.
L’enfer, c’est les autres
La honte joue donc un rôle plus qu’important, car malgré tous les efforts, arrive-t-on vraiment à se sentir à sa place dans un milieu qui n’est pas le nôtre ? Les scènes de dîner se mêlent et s’entremêlent, illustrant les ressemblances…et mettant également en exergue les différences. Le diable se dissimule dans les détails : ce que l’on mange et ce que l’on boit illustre nos modes de vie, l’exubérance ou non de notre consommation.
Et à nouveau la mise en scène élève le propos, notamment en travaillant avec les miroirs et les reflets qui viennent souvent obstruer une partie du corps des personnages. Sans doute pour nous dire, que l’autre n’est qu’un mirage insaisissable sur lequel on projette notre vision du monde et nos désirs.
Empreint de tendresse et de sensualité, de cynisme et de gaieté, Simple comme Sylvain se construit comme une boucle, dont la charpente est formée par des dialogues ravageurs et des personnages auxquels on s’identifie. Avec son esthétique kitsch et auréolée d’une palette de couleur tirée des 70’s, le film fait rire, parfois de manière grinçante, en confrontant le spectateur à ses propres opinions sur l’amour et le couple.