Sous la forme d’un road-movie déroutant, Sans signe particulier livre une véritable réflexion sur la situation des migrants en Amérique Centrale. Quittant leur foyer en quête d’une vie meilleure, ces hommes, femmes et enfants, croisent souvent le chemin de la mort avant celui de la liberté. Dans un pays où les anciennes victimes se changent en bourreaux pour tenter de survivre, Fernanda Valadez interroge aussi bien le spectateur que ses personnages sur la nature humaine.
Sous ses apparences de road-movie classique, Sans signe particulier libère dans son dernier tiers une véritable puissance visuelle et narrative à la lisière du fantastique, qui marque indélébilement la rétine et l’esprit du spectateur.
A l’image de centaines d’autres mères au Mexique, Magdalena (Mercedes Hernandez) a été contrainte de laisser partir son très jeune fils, bien décidé à quitter le pays afin de rejoindre la frontière américaine. Terre devenue hostile pour ces enfants en quête de liberté et de vie meilleure, le Mexique recense chaque jour plusieurs disparus à la frontière et n’est plus en capacité de mener des procédures de recherche afin de retrouver ceux n’ayant pas été déclarés morts. Ces mères, impuissantes, se voient contraintes une nouvelle fois de laisser partir leurs enfants, en remplissant le formulaire qui permet aux autorités mexicaines d’abandonner les recherches, faisant de leurs enfants des « disparus forcés ». Magdalena, sous les conseils d’une autre mère venant d’apprendre la mort de son fils disparu depuis quatre ans, décide de partir à la recherche de son fils par ses propres moyens.
Si l’on s’emploie à le décrire uniquement au moyen d’adjectifs, Sans signe particulier est avant tout un film véritablement déroutant. Sur sa relativement courte durée (à peine plus d’une heure et demie), le film de Fernanda Valadez installe un rythme lent et lancinant, indéniablement efficace dans la volonté de faire ressentir au spectateur l’ampleur du voyage qu’entreprend Magdalena. Sur sa route, elle fera la connaissance de Miguel, récemment expulsé des Etats-Unis – le montage alterne entre le voyage de Miguel et celui de Magdalena avant leur rencontre – et à la recherche de sa mère. Ces deux destins, liés par une quête sensiblement commune, seront définitivement bouleversés à l’issue de ce voyage, une issue qui se trouvera dans la mort ou dans la résignation.
Un changement bienvenu de rythme s’opère alors dans le dernier tiers du long-métrage, lorsque Miguel et Magdalena se résignent l’un et l’autre à poursuivre leurs recherches. Bien que le travail de la chef-opératrice Claudia Becerril (l’équipe du film est d’ailleurs essentiellement féminine) soit à souligner pour l’ensemble du métrage, il devient dans ce dernier acte absolument remarquable. Si Miguel et Magdalena évoluaient jusqu’alors au sein de vastes paysages baignés de lumière, malgré l’apparente vétusté des quelques habitations rencontrées, ils semblent ensuite transportés directement au cœur des enfers lorsque leur chemin rencontre celui d’un cartel.
Dans l’ultime séquence du film – dont rien ne vous sera révélé – c’est toute l’horreur inhérente à cette situation que l’on ressent. Une horreur bien réelle pour des milliers de mexicains, certains d’entre eux se changeant en bourreau pour ne pas avoir à sacrifier leur vie. Magdalena se l’entendra dire par un vieil homme rescapé d’une attaque de cartels : il n’y a que le diable en personne pour accomplir de tels actes et semer la terreur à lui seul dans un pays entier.
Malgré son rythme troublant, Sans signe particulier réussit à maintenir l’attention du spectateur, pris d’empathie et de terreur pour la situation de Magdalena. Visuellement audacieux et porteur d’une réflexion pertinente sur l’horreur vécue par les Mexicains, le premier film de Fernanda Valadez mérite amplement sa place au sein de la sélection internationale du Festival International du Film Indépendant de Bordeaux.