La tête dans une machine à laver, dans une machine à rêver. Face à Résurrection de Bi Gan, j’ai eu la même sensation que lors de mon premier visionnage de Tenet de Christopher Nolan. Au bout d’un moment je me suis dit : « Bon n’essaye pas de tout comprendre, laisse toi porter. »
Bi Gan a beau exposer, dès le début de Résurrection, son postulat de départ sur l’écran à la façon d’un film muet digne des prémices de l’histoire du 7e art, le spectateur devra s’accrocher pour comprendre l’histoire de ce rêvoleur à l’allure protéiforme (Jackson Yee interprète 5 rôles différents).
Alors pourquoi aller voir Résurrection, 3e long-métrage de Bi Gan, qui tisse encore une fois sa toile après Kaili Blues (2015) et Un grand voyage vers la nuit (2018) ? Parce que cette lettre d’amour au cinéma (oui, encore une), qui, bien que moins accessible aux premiers abords, n’a rien à envier à celle d’un Tarantino (Once Upon a Time…in Hollywood) , d’un Chazelle (Babylon) ou encore d’un Spielberg (The Fabelmans).
« Dans un monde où les humains ne savent plus rêver, un être pas comme les autres (Jackson Yee) perd pied et n’arrive plus à distinguer l’illusion de la réalité. Seule une femme (Shu Qi) voit clair en lui. Elle parvient à pénétrer ses rêves, en quête de la vérité… »

Du pays des sens…
36 ans… à seulement 36 ans, le réalisateur chinois fait preuve ici d’une maîtrise dans la réalisation tout simplement époustouflante. Durant plus de deux heures trente, il alterne les valeurs de plans, les transitions léchées, les surcadres et jeux avec les ouvertures, que cela soit une fenêtre, une porte ou un pare-brise de voiture. Le souci du détail est total.
Résurrection, découpé en plusieurs tableaux, retrace un siècle d’histoire chinoise mais surtout un siècle de cinéma. Les tableaux avancent, les sens sont auscultés. Le travail immersif sur le son qui passe d’une voix off, aux dialogues en passant par du « point of view » est tour à tour apaisant, horripilant et parfois enlevé grâce à la bande son signée des français du groupe M83.
Bi Gan continue dans Résurrection son travail d’abstraction narrative, tout en poésie, qui aura de quoi désarçonner plus d’un spectateur. Il nous parle de ses marottes aperçues dans Kaili Blues et Un grand voyage vers la nuit. Le temps qui passe. Les rêves. Les karaokés. L’eau, qu’elle coule au compte goutte ou qu’elle apparaisse sous forme majestueuse de fleuve ou de rivière. Il le dit lui même : « Toutes mes oeuvres ont un lien entre elles ».

… au pays des monstres
Alors que Guillermo Del Toro a livré son Frankenstein, Bi Gan fait ici aussi allusion au monstre. Plus proche d’un Bossu de Notre-Dame visuellement, le doux rêveur trouvé par Shu Qi est un amoncellement de vies, de moments étrange ou les relations père/fils ne sont jamais loins (comme dans les deux précédents films du réalisateur).
S’il faudra du temps et d’autres visionnages pour déceler les différents éléments de chacune des séquences, laissez-moi m’attarder sur la dernière (avant l’outro). L’habituel long plan-séquence (marque de fabrique du réalisateur), rougeoyant, atmosphérique, est tout simplement ébouriffant. L’urgence de vivre qui transpire de cette cavalcade amoureuse – cousine du très réussi Vampire humaniste cherche suicidaire consentent – est le point culminant de l’œuvre de Bi Gan, qui n’a pas volé son prix spécial au dernier festival de Cannes.
Ne chercher pas le linéaire, ne cherchez pas l’omniscience, ne vous attendez pas être pris par la main, vivez. C’est peut être aussi cela que cherche à nous dire à sa manière, Bi Gan. Lui qui semble rester en retrait émotionnellement dans son œuvre. Là où un Spielberg y mettrait ses tripes, un Tarantino sa nostalgie, l’auteur de Kaili Blues se rapproche ici de la démonstration d’un Chazelle, qui avait pu en agacer certains avec son Babylon. Le jeu des acteurs – tout en introspection pour la plupart – accentue ce parti-pris et fait de cette œuvre quelque chose de forcément clivant.
