Radio Prague de Jirí Madl : Good Morning Tchécoslovaquie !

Jirí Madl radio prague

Avec Radio Prague, premier long-métrage du réalisateur à bénéficier d’une sortie française, Jirí Mádl croise le film historique et le thriller politique. Allô la Terre, ici la révolution !

Des grosses lunettes carrées en plastique, des chemises colorées et du daim en veux-tu en-voilà : toutes les nuances de jaune et de marron so 60-70’s explosent dans Radio Prague. La variété pop-rock commerciale jouxte les aspirations plus punk et underground d’une bataille contre la censure soviétique. Les évènements du Printemps de Prague sont ici narrés du point de vue des médias, piliers d’hier et d’aujourd’hui de la démocratie. Succès public en République Tchèque (1 million d’entrées sur une population de 10 millions d’habitants) comme critique (prix du meilleur film tchèque aux Lions – les Cesar locaux), et représentant la République tchèque dans la course aux Oscars, le film de Jiří Mádl réussit-il à voguer sur les ondes de la révolte ?

« Mars 1968. À la veille du Printemps de Prague, Tomáš (Vojtěch Vodochodský) décroche un emploi à la radio et travaille pour des journalistes qui défient la censure de l’État. Soumis à un chantage de la police secrète, parviendra-t-il à la déjouer sans trahir ses idéaux ? Le récit d’un combat pour la liberté qui a marqué l’Histoire… »

Le personnage de Milan Weiner se tient dans le studio, il est en train de parler dans un micro. En arrière-plan, on voit l'équipe de la rédaction qui le regardent
© ARP Selection

Le son pop-rock

1968, Tchécoslovaquie ; tous les médias sont contraints de se soumettre à la censure du régime communiste. Tous ? Non, une antenne radio résiste encore et toujours à la répression. Sous l’impulsion de Milan Weiner (Stanislav Majer), chef du Bureau International des Actualités, la Radio Tchécoslovaque désobéit aux autorités. Entre autres, elle fait intervenir des citoyens en direct, ou utilise des sources occidentales, comme Reuters. On suit Tomáš (Vojtěch Vodochodský), jeune ingé-son, qui vient tout juste d’y décrocher un emploi, et se retrouve rapidement victime de chantage par la police secrète. Il doit désormais choisir entre son nouveau combat pour la liberté d’expression ou protéger ses proches. 

Aussi bien au son qu’à l’image, Radio Prague réussit à nous immerger dans une ambiance que l’on n’a pourtant pas pu connaître : celle du Prague des années 60. Atmosphère qui ne tient pas qu’au colossal travail des costumes et décors, mais aussi à celui de la récupération d’images d’archives. Le début s’ouvre sur une succession dynamique d’extraits de films d’époque, le tout monté narquoisement sur une chanson pop américaine). D’ailleurs, tout le long du film, la méticulosité de la reconstitution historique se cogne à ce recul ironique. L’emploi de gaies chansons occidentales se juxtapose au roucoulement grave de la langue tchèque. L’étalonnage participe aussi de ce travail sur l’ambiance en nous rapprochant, par moments, de l’esthétique d’archive en imitant son aspect granuleux et désaturé. Petite et grande histoires se confondent alors, tout en restant justes et précises.

Dans la jungle ou dans le zoo

Mais il y a de l’ironie avec les ambitions punk mal dissimulées de Radio Prague. Le spectateur voit un film qui, comme ses personnages, se débat avec son legs, toujours en recherche d’une approbation du côté de l’Ouest. La langue et les annales d’Histoire ; voilà, en somme, tout ce qu’on trouvera d’authentiquement tchèque dans le film. Quelques chansons slaves peinent à se faire entendre par-dessus le débit de soupe pop ergoté tout du long. Alors, malaise dans la culture ?

Car en envoyant Radio Prague à la sélection des Oscar, qu’espérait représenter la République tchèque ? Sinon son honnête capacité d’adaptation à des codes cinématographiques mondialisés et, il faut le dire, bankable. En témoigne l’inspiration assumée de Jiří Mádl : Argo (Ben Affleck), thriller américain exemplaire de la formule blockbusterienne. Le tableau d’un contexte politique demanderait de la subtilité. Ici, on sort les gros sabots pour y donner un bon coup de pied. Dans Radio Prague, tout y est. La bande originale qui prescrit les émotions à ressentir, les panneaux qui précisent inutilement le lieu à chaque changement de décor, la police secrète d’État qui se tapisse dans des ruelles mal éclairées. Même si on peut pardonner au film son manque de finesse, il faut aussi remarquer la dissonance entre son sujet et sa forme.

Finalement, le vent de liberté ne souffle que pour le Prague fictif. Derrière la louable intention de dénoncer le despotisme, Jiří Mádl en sert inconsciemment des formes plus discrètes. Cette monocratie du blockbuster impose ses codes, bâillonne toute identité ou réelle prise de risque – et c’est ce qu’on aurait attendu de Radio Prague. Un peu de punk, ou du moins un affranchissement de quelques conventions, à l’instar de ses personnages. On se retrouve avec un film certes efficace, mais préfabriqué, selon une formule qui ne semble pas vraiment lui appartenir.

Film historique aux airs de thriller politique et aux sons pop-rock 60’s, Radio Prague de Jirí Madl peine à trouver une véritable identité, en dépit d’un honorable travail d’archives et d’ambiance.

 

Laisser un commentaire