Piégé de David Yarovesky : Attention, voiture méchante

Bill Skarsgård en délinquant. Anthony Hopkins en méchant sadique. Un 4×4 high-tech entre eux. Voilà le cocktail proposé par David Yarovesky dans son 4e long-métrage, Piégé, produit par Sam Raimi.

Après un premier film horrifique saupoudré de Memento (The Hive). Une revisite du personnage de Superman dans Brightburn. Et une adaptation d’un roman de J. A White (Les pages de l’angoisse), David Yarovesky continue de construire sa filmographie de genre avec Piégé, thriller à la croisée des chemins entre le survival et le vigilante, remake du film hispano-argentin 4×4 (2019).

« Un voleur (Bill Skarsgård) s’introduit dans une voiture de luxe et se retrouve piégé à l’intérieur. Il découvre que son énigmatique propriétaire (Anthony Hopkins) en a le contrôle total et qu’il va exercer sur lui une vengeance diabolique. »

Bill Skarsgård se met à nu dans le thriller Piégé (de David Yarovesky), où il se retrouve coincé dans une voiture.
© The Avenue

Huis clos et seize soupapes

L’exercice relève toujours en premier lieu d’un véritable défi d’acting. Dans un survival claustrophobique, le rôle principal (si tenté qu’il y en ait des secondaires) est scruté par le spectateur, épié dans ses moindres mimiques, ses moindres esquisses de langage corporel. Nombreux se sont attelés au genre, Colin Farrell dans Phone Game (2002), Ryan Reynolds dans Buried (2010), James Franco dans 127 heures (2010) ou plus récemment Willem Dafoe dans À l’intérieur (2023). Une grande partie de la réussite ou non de ce genre de film réside donc dans le choix du comédien.

Et on peut dire qu’avec Bill Skarsgård, libéré de ses costumes de monstres (Ça, Nosferatu), David Yarovesky a fait le bon. Le suédois le savait dès la première rencontre avec le réalisateur, le tournage de 19 jours allait être intense et désagréable. Mais il ne s’attendait sans doute pas à frissonner désormais au passage de chaque Land Rover Defender qu’il croiserait.

Entre Christine et Bumblebee

Car si dans trois des quatre films cités plus haut, le lieu de restriction physique n’a pas forcément été étudié comme objet filmique à proprement parlé, dans Piégé, le 4×4 est un véritable personnage à lui tout seul. Si son aspect était plus quelconque dans le film original, David Yarovesky et ses équipes ont voulu en faire, dans Piégé, quelque chose de malveillant. Des sièges en cuir beige à l’inscription en latin Dolus (qui signifie : ruse, fourberie), le véhicule a été pensé puis construit pour être l’élément central du film. Yarovesky explique d’ailleurs en interview que la voiture a été conçue presque comme un Transformer, décomposée en sections sur rails afin de faciliter les mouvements de la caméra. Cette dernière tourne autour de l’habitacle pour coller à l’idée de Yarovesky de faire le maximum de prises de vue réelles.

Ce monstre d’acier est aussi le réceptacle de l’esprit nauséabond du personnage de William, joué par l’espiègle Anthony Hopkins dans un rôle de vigilante à la morale douteuse. Et c’est là où le bât blesse. Si sur l’aspect formel, le film est plutôt une réussite, le fond est clairement réactionnaire – un corpus moral récurrent dans les vigilantes. Yarovesky se défend en interview de faire un film politique mais plutôt une « morality play », genre littéraire et théâtral apparu au Moyen Âge où le thème central est l’antagonisme entre le Bien et le Mal.

Anthony Hopkins de retour dans la peau d'un méchant dans le film Piégé (de David Yaroveksy), va rentrer dans la voiture.
© The Avenue

Le bon riche et le mauvais pauvre

Dans Piégé, il n’y a plus de justice, plus d’espoir et un donneur de leçon richissime prêt aux pires atrocités. Quitte à mettre sa fortune dans la conception d’une voiture high-tech ressemblant là aussi à un instrument de torture sorti tout droit du Moyen Âge. De l’autre côté de la barrière, un délinquant « bon à rien » en galère qui délaisse sa famille par égoïsme. Peut-on faire plus cliché ?

Dans le film original, Ciro, le personnage de la petite frappe, était un tueur et son statut bousculait davantage la morale du spectateur face à l’auto-justice. Dans Piégé, la réflexion est plus confortable. Un jeune homme paumé vivant de vols mérite-il la torture et la mort ? La question est rhétorique. Dépouillé du contexte environnant pour laisser place à ce mano à mano entre Skarsgård et Hopkins, Piégé y gagne d’un côté (l’acting) pour y perdre de l’autre (puissance du sujet). La narration qui s’éloigne au fil du temps de l’intrigue de l’oeuvre hispano-argentine, s’essouffle donc jusqu’à une fin des plus classiques et aurait méritée un peu plus de consistance.

David Yarovesky continue avec Piégé de creuser son sillon de faiseur de films funs qui font réagir l’audience et à le mérite de nous donner une confrontation entre Skarsgård et Hopkins tout en prouvant qu’il a, techniquement, toujours de bonnes idées. Le fond peine, lui, encore une fois à convaincre. « En quoi fait-il sens ? » comme se demanderait Sidney Lumet.

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