Pendant ce temps sur Terre de Jérémy Clapin : Clap de fin du monde

Dans un travail de verticalité d’imagerie remarquable, Jérémy Clapin fait de son Pendant ce temps sur Terre un terrain d’exploration. Un purgatoire désespéré mais pas vide de sens. Un ovni visuel et une réelle percée dans un cinéma qui, lui, ne se sent pas pris entre deux eaux.

De tous les travaux de son réalisateur, et après J’ai perdu mon corpsun premier film que la réputation précède, Pendant ce temps sur Terre semble être le plus singulier dans son approche de la narration. Passages oniriques dessinés et séquences filmées qui flirtent avec le morbide, s’entremêlent pour former un cordeau filmique solide et fertile.

« Elsa (Megan Northam), 23 ans, a toujours été très proche de son frère aîné Franck (Sébastien Pouderoux) , spationaute disparu mystérieusement 3 ans plus tôt au cours d’une mission spatiale. Un jour, elle est contactée depuis l’espace par une forme de vie inconnue qui prétend pouvoir ramener son frère sur terre. Mais il y a un prix à payer… »

Dans le noir, Elsa tente de s'éclairer à l'aide de la torche de son téléphone. Au loin, on aperçoit les lumières de la ville transpercer péniblement la nuit avec leur bulles de lumières faiblardes.
©Diaphana

Cadavres et trous de vers

Elsa travaille en Ehpad, ce qui ironise le départ prématuré de son frère. Elle fera ce constat à propos d’un vieillard dont elle s’occupe : « stable dans le déclin ». Ainsi, l’entièreté du film semble se caler sur ce dicton. Dans autant de plans écrasants que pentus, on observe, comme Elsa observe à travers ses dessins, tous les personnages avancer. Stables dans leur chute. Coincés dans cet entre-deux qu’est la Terre, purgatoire entre mort et vie comme sas d’attente pour monter vers l’espace. La mise en scène s’en sert pour étouffer le spectateur, sans pour autant y rester chevillée.

L’entièreté du récit tourne ainsi sur le changement ou l’incapacité de ses personnages à l’accepter. La caméra comme l’histoire pivotent autour de Franck, représenté sur un rond-point qui hante Elsa, qui a déjà du mal à gérer son deuil. Daniel (Sam Louwyck), son père, se terre carrément dans la cave, s’enfonçant dans le sol par peur du ciel qui a emporté son fils.

Au cœur de la singularité

Les plans stables, colorés et duveteux du chef opérateur Robrecht Heyvaert viennent contrebalancer le noir et blanc sec des passages animés. Le tout sans compromettre l’identité visuelle du film, qui joue toujours sur cette plage de poésie presque lunaire, et nous fait décoller de l’âpreté du réel qu’elle dépeint. Le réalisateur, ainsi, intègre dans son film une multitude d’indices et de lectures qui renforcent la facilité d’approche du spectateur, sans tronquer la force de son message premier.

Le son, tant par le mixage que par l’incroyable bande-son de Dan Levy, apporte aussi sa pierre à l’édifice. Le mélange de ce travail visuel et sonore se met au service de ce patchwork de styles que forme le réalisateur qui signe ici son premier film en prise de vues réelles. Le genre comme l’approche de l’histoire sont servis par la maîtrise dramaturgique de Clapin, qui fait confiance à son équipe et ses comédiens. Ceci permet de ne pas lester un film au sujet déjà lourd.

La bizarrerie discrète mais parlante des oeuvres du réalisateur est bien appliquée à la SF. Ainsi, Pendant ce temps sur Terre ne devient pas un wannabe space-opera, mais reste dans le sujet traitable de son histoire. Un plan sur un cadavre nous ramène à la curiosité morbide que l’on ressent devant une oeuvre de Stan Brackage, quand le noir et blanc des passages animés rappelle l’étrangeté flottante du soleil noir de Villeneuve dans son Dune 2.

Le clapier de Clapin

Cette relation au bizarre se retrouve aussi dans l’approche presque minimaliste de la SF. Une graine sortant de l’oreille d’Elsa, des personnages qui se mettent miraculeusement à flotter, un gri-gri en forme de globe qui disparaît en sortant d’un tunnel. L’indicible se mêle au quotidien que personne ne veut abandonner, tant par confort que par lâcheté, et nous questionne. Que vaut une vie humaine contre une autre ? Que vaut-elle contre celle d’un arbre qu’on abat ?

À cela, le film répond par plusieurs passages qui illuminent cet amas presque misanthrope. Au travers de quelques blagues, pas excellentes mais qui font sourire tant elles sont nécessaires, le réalisateur semble répondre à l’unilatéralité de ses précédents films, et de ses personnages. L’avenir est un possible.

Elsa nous fixe d'un regard dur et déterminé devant une forêt floutée, les cheveux au vent.
©Diaphana

Entre deuil familial et impossibilité de projection dans un monde apparemment voué à s’échouer lourdement, Pendant ce temps sur Terre traite avec brio de sujets contemporains. On en ressort avec la sensation d’avoir vu un film à la fois beau et maîtrisé. Nouveau pas encourageant dans la carrière d’un réalisateur qui semble avoir de plus en plus de choses  à dire.

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