Pavements de Alex Ross Perry : No Rock for Old Men

Ambiance slacker, punk mollasson, désordre insouciant et esprit « Do It Yourself » : Pavement, c’est le groupe culte de ton groupe culte. Pavements, le film, c’est la plongée dans l’underground des 90’s avec Alex Ross Perry qui revient sur la scène rock.

Réaliser un film sur un groupe aussi talentueusement bancale que Pavement tient du miracle. C’est sans doute pour cette raison que Alex Ross Perry a opté pour la forme du mockumentary. Entre fausse comédie musicale, making-of d’un biopic imaginaire et musée à leur gloire tout aussi fictif, Pavements semblait réunir tous les ingrédients pour rendre hommage au caractère si inclassable du groupe. Sauf que voilà, à force de vouloir tout explorer, le film ne fait qu’effleurer son sujet – et finit par manquer l’essentiel. Ce qui compte, dans le rock, c’est l’attitude, la musique.

« Pavement, le groupe de rock indé des années 1990, se réunit en 2022 pour une tournée à guichets fermés. Mais en parallèle des préparatifs, une série d’hommages inusités voient le jour : une comédie musicale, un musée consacré à son héritage et un biopic hollywoodien conçu pour appâter les trophées… »

© Cartel

Le groupe le plus important du monde

Fin des années 80. Nirvana sort About a Girl et Sonic Youth cartonne avec Daydream Nation, qui vient dépoussiérer les étagères de ton père. Les guitares sont nasillardes, bricolées, avec le charisme d’un ado boutonneux, mais une énergie brute qui électrise. C’est dans cette ambiance grunge, nourrie de punk et du DIY, que Pavement creuse son sillon. Leur effervescence séduit immédiatement. Il y a chez eux un truc neuf, d’irrésistiblement cool. Un art de la glandouille poussé au rang de légende.

« On n’essaie ni de rester underground ni de devenir des stars. On ne fait juste qu’exister. » C’est ce que lance Stephen Malkmus, le leader du groupe, lors d’une interview. Tout est là. Leur force, c’est la simplicité. Ecrire des morceaux bizarres et banals comme on gribouille sur un coin de cahier lors d’un cours de math. Passer l’après-midi à gratter des accords avachis sur le canapé du pote. Des salles gosses qui n’ont pas besoin de savoir jouer pour faire de la bonne musique. Un petit miracle d’authenticité à qui chacun peut s’identifier. Et c’est justement cette authenticité qu’on peine à retrouver dans Pavements. Alex Ross Perry troque l’esprit volatile et nonchalant du groupe à la pose.

Après tout, vouloir se moquer des clichés des biopic musicaux, c’est bien – encore faut-il avoir l’énergie de mener à bien cette rébellion. Sans ça, on tombe vite dans le clinquant un peu creux, le sarcasme stérile, ou encore pire : l’indifférence. Et c’est dommage, car il y avait de belles intuitions. Superposer des images d’archives à leur dernier concert de 2022, jouer du contraste entre le grain de la pellicule et la netteté du numérique – tout ça pouvait fonctionner. Mais à trop vouloir rendre une chose cool, on finit par la plomber.

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L’envers du riff

On aurait pu croire que faire appel à Joe Keery – alias Steve Harrington, la nounou rock’n’roll de Stranger Things sur Netflix – pour incarner Stephen Malkmus dans ce faux biopic apporterait un peu de relief. D’autant qu’il est lui-même musicien sous le nom de Djo. Mais là encore, le potentiel reste inexploité. Difficile de distinguer ce qui relève du narratif ou de la simple anecdote. Pavements saute d’une scène à l’autre sans ligne claire, désaccordé, comme s’il avait oublié où il voulait aller. Sans doute pourrions-nous penser qu’il s’agit d’un clin d’œil au style du groupe. Sauf que leur musique était peut-être bordélique mais jamais brouillonne.

Et au milieu de ce flot d’images d’archives, pas une seule chanson n’est diffusée dans son intégralité. Pas une. Pas de moment de grâce pour ressentir, même un instant, ce qui rend Pavement si unique pour ses fans ou son réalisateur. Autant dire que pour les néophytes, impossible d’entrer dans l’univers du groupe. Le cinéaste refuse toute porte d’entrée, préférant dérouler une chronologie plate et scolaire, aussi sage qu’ennuyeuse.

On aurait aimé que le film s’aventure davantage dans l’intimité de la tournée : sonder la persistance de la flamme, vingt ans après ; comprendre ce qui pousse un groupe à remonter sur scène après cette retraite anticipée en 1999 alors que le succès leur était déroulé. Or rien de tout cela ne transparaît vraiment. L’implication, tout comme la mise en scène, reste distante, et la complicité en demi-teinte. Le réalisateur n’ose jamais vraiment s’approcher de ses protagonistes. Une pudeur qui frôle hélas le désintérêt.

L’ampleur d’un océan, la profondeur d’une flaque

Un Spinal Tap à la sauce grunge, ça aurait pu être le pied. Sauf que voilà : question tonalité, on ne sait jamais sur quel pied danser. Satire mordante ou hommage mélancolique ? Le film ne tranche jamais, et cette tiédeur générale, digne d’un simple reportage de commande, n’aide pas à y voir plus clair. De même pour le traitement d’un scénario qu’on assiste impuissant s’effondrer sous le poids de sa propre ambition démesurée. Difficile, en effet, de retrouver la sincérité délurée de l’esprit slacker… 25 ans plus tard.

Quant à la folie si alléchante du mockumentary (un genre trop rare) elle reste ici à l’état de promesse. Les idées sur le papier font rêver, sauf qu’à l’écran, tout reste esquissé, comme si le film était trop effrayé de creuser ce qu’il cherche. Et donc ? 2h de méli-mélo mal fagoté plus tard, qu’avons-nous vu ? Qu’avons-nous appris sur Pavement ? Pas grand-chose. Avons-nous ne serait-ce une seule petite fois vibrer avec eux ? Non. Si le style reflète le message, autant dire que nos anciens gamins de Stockton ont perdu de leur feu.

Néanmoins, ce n’est même pas si grave. Parce qu’au fond, qui y’a-t-il de honteux à vouloir raconter l’histoire d’un groupe sans drame ni légende sulfureuse ? Un groupe qui a simplement vieilli, tranquillement ? Rien. Absolument rien. Et c’était peut-être justement ça, le vrai contrepied au biopic classique que Pavements cherchait sans cesse à moquer. Dommage qu’il n’ait pas compris que la magie était sous ses yeux depuis le début.

Avec un groupe aussi électrisant, Pavements aurait dû ressembler à un mockumentary aussi fou que percutant. Mais Alex Ross Perry s’égare dans une narration brouillonne et ampoulée. On attendait un brasier, on n’a eu qu’une lueur.

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