Ollie d’Antoine Besse : L’asphalte champêtre

Antoine Besse Ollie

Avec Ollie, Antoine Besse livre un premier long métrage atypique et touchant qui fait la part belle à la marginalité.

Si vous avez adoré 90’s (2018) de Jonah Hill, Je m’appelle Bagdad (2019) de Caru Alves de Souza et North Hollywood (2021) de Mikey Alfred, dernières fictions en date mettant en vedette de jeunes skateurs en quête d’eux-mêmes qui trouvent refuge et réconfort sur une planche à roulettes, le Ollie d’Antoine Besse vous ravira à coup sûr. Outre ces thématiques, Antoine Besse met surtout en lumière les laissés-pour-compte et la pratique du skateboard dans un environnement singulier : celui de la campagne, bien loin de l’imagerie purement urbaine qui colle aux baskets de cette discipline underground. Le jeune réalisateur parvient-il a nous faire oublier le foireux premier film de skate français Skate or Die (2007) réalisé par Miguel Courtois Paternina et Pascal Guegan ? Verdict ci-dessous.

« A treize ans, Pierre (Kristen Billon) revient vivre à la ferme de son père (Cédric Kahn) après le décès brutal de sa mère. Harcelé à l’école, il se réfugie dans sa passion : le skate. Il rencontre Bertrand (Théo Christine), un marginal qui cache un passé d’ancien skateur, qui le prend sous son aile. Ensemble, ils vont tenter de se reconstruire. »

© Wild Bunch Distribution

Passion campagnes

Une décennie avant son premier long métrage, Antoine Besse réalise en 2014 le très réussi Le Skate Moderne, court métrage entre documentaire et fiction qui suit un groupe de skateurs des champs périgourdins, imaginé après avoir découvert La Vie Moderne (2008) de Raymond Depardon. Largement remarqué sur la toile et en festivals, Le Skate Moderne se retrouve même nommé aux César en 2017. Antoine Besse dirige ensuite des clips, des pub’ et des séries pendant près de dix ans, et fait donc un véritable retour aux sources avec Ollie. Celui qui a quitté dans sa jeunesse l’Océan Atlantique pour les terres du Périgord s’évertue, dans Le Skate Moderne comme dans Ollie, à mettre en avant la campagne française, la réappropriation de la culture skate dans un environnement rural, mais également les personnalités en marge qui foulent notre territoire hors du Grand Paris.

Il faut bien l’admettre, Antoine Besse parvient à filmer les zones rurales avec beauté et poésie. La rencontre entre l’urbain, par le biais du skateboard, et la campagne fait de plus des merveilles à l’écran. Du skatepark du coin entouré de champs à un travelling sur Pierre (bluffant Kristen Billon) en train de faire un trick dans une étable, en passant par les modules de skate bricolés avec des planches de bois dans un hangar où la nature a repris ses droits, la mise en scène est de facture classique, soit, mais diablement efficace. Magnifiant les contrées de la Dordogne, Ollie offre par ailleurs un portrait brut et juste de la jeunesse des campagnes. Un voyage dépaysant pour les citadins, mais vecteur de nostalgie pour ceux qui, comme moi, ont grandi loin des grandes villes.

La vie de(s) Bertrand

Cette jeunesse des campagnes, en proie à l’isolement ou encore à l’ennui, Antoine Besse l’illustre remarquablement par le biais du personnage de Bertrand, ancien skateur campé avec brio par Théo Christine. Inspiré de « Béber » (à qui le film est dédié), un « grand » admiré par le réalisateur dans sa jeunesse, et d’autres personnages croisés dans la vie ou sur un écran, Bertrand représente ces destins écaillés à un âge bien trop jeune qu’un.e campagnard.e a forcément croisé un jour dans son village, un skatepark ou sur le parking du lycée. On a tous connu un « Bertrand », ce désaxé punk à chien qui passe constamment du statut de « trop cool pour avoir une vie rangée » à « trop abîmé pour être dans les clous et faire quelque chose de sa vie », avec qui on a déjà partagé une vanne et/ou une bière après qu’il nous ait de prime abord fait un peu flipper.

Personnage aussi fragile qu’explosif, préférant la compagnie de ses chiens à celle de l’humain, hybride profondément touchant entre les marginaux fictifs Hesher (Joseph Gordon-Levitt), imaginé par Spencer Susser, et le Mud (Matthew McConaughey) de Jeff Nichols, ce rôle de composition fascine autant Pierre que le spectateur dans ses failles et sa personnalité détonante. Similaires dans leur lot de galères (deuil, harcèlement, problèmes avec leurs géniteurs), Bertrand et Pierre se révèlent pourtant antipodiques. Tandis que Pierre, mutique, réfléchi et discret, a presque un regard adulte sur le monde, Bertrand se montre quant à lui enfantin et impulsif à plusieurs reprises. La complexité de ce duo inattendu, dans son vécu, ses forces et fêlures, insuffle toute l’authenticité à ce coming of age.

© Wild Bunch Distribution

(Re)Construction

Ollie, dont le titre fait référence au premier trick à maîtriser afin de pouvoir évoluer et parvenir à faire d’autres figures de skate, est un film qui empreinte la forme même de l’existence et d’une session sur roulettes, ponctuée de mauvaises chutes comme d’instants de joie et de pure liberté. A travers le lien qui se tisse progressivement entre Bertrand et Pierre par le biais du skateboard et du deuil, chacun entame alors un début de reconstruction. Si la mise en scène revêt par moment des pourtours presque flottants au plus près des personnages, la caméra se fixe et s’éloigne de ses protagonistes lors des moments brutaux qui ponctuent l’intrigue. Une séquence en particulier coupe littéralement le souffle par son escalade de la violence qu’on ne veut pas voir venir.

Avec ces choix esthétiques simples mais bien choisis, on n’est pas étonné lorsqu’Antoine Besse cite Sean Baker et Andrea Arnold comme ses cinéastes favoris. Pourtant, là où certains trouvent le film « américanisé », Ollie dénote surtout, à l’instar de Chien de la Casse, Vingt Dieux ou encore La Pampa, la volonté de jeunes cinéastes à sortir la jeunesse des zones rurales du placard et de conter des histoires singulières loin des grandes agglomérations et du cinéma bourgeois. Pistes sociétales, spatiales, réflectives et narratives déjà largement balisées hors de l’Hexagone, et qui se frayent de plus en plus un chemin dans le paysage cinématographique français. Un plaisir.

Avec Ollie, Antoine Besse livre un premier film vibrant et réussi en contrée rurale, magnifié par son duo de personnages émouvant.

 


Découvrez notre conversation avec Antoine Besse.


 

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