Nous les Leroy : Entretien avec Florent Bernard

Nous les leroy florent bernard

Comédie dramatique qui n’usurpe ni son genre ni son titre : Nous, les Leroy de Florent Bernard nous emmène dans un road-trip nostalgique, drôle et rafraîchissant.

Pour quelques minutes, dans un hôtel très loin des routes bourguignonnes, nous avons pu échanger avec Florent Bernard sur son film et son parcours. Retours sur un film drôle d’un réalisateur-auteur versatile.

“Sandrine Leroy (Charlotte Gainsbourg) annonce à son mari Christophe (José Garcia) qu’elle veut divorcer. Leurs enfants (Lily Aubry et Hadrien Heaulmé) ont bientôt l’âge de quitter la maison. Dans une opération de la dernière chance aussi audacieuse qu’invraisemblable, Christophe organise un week-end pour sauver son mariage : un voyage passant par les endroits clés de l’histoire de leur famille. Un voyage qui ne va pas être de tout repos…”

Assise sur un banc au milieu d'un parc d'enfants, Sandrine sourit aux siens. Son futur ex-mari est derrière elle, un peu effacé.
© Apollo films
Dans tes films et même dans tes interventions et références, on ressent bien ton amour pour l’abondance de personnages, de blagues. Comment se limite-t-on avec une telle générosité de propositions ?

Florent Bernard : On ne se limite pas trop. En tous cas, on se limite dans la mesure du budget, du temps qu’on a pour tourner. Ensuite il y a le montage. Je pense beaucoup au montage, je suis monteur de profession, j’ai commencé en montant mes sketchs. Bloqués (Khyan Khojandi, Bruno Muschio, 2015), je le montais aussi. Du coup, sans spoiler, il y a une scène où un personnage affiche quelque chose sur un mur, et c’est un « moment-émotions », qui est ensuite un peu cassé avec une blague. Et cette séquence, je lui ai tourné deux fins. Une où on assumait le côté émotion et une où je cassais avec la blague. J’ai tellement peur du pathos que je m’assure toujours une porte de sortie au cas où.

La comédie, c’est pareil : on teste des choses. Rien n’est improvisé, tout est écrit à l’avance mais je m’autorise parfois à tourner différents angles. Comme ça, au montage on ne se retrouve pas piégés, on peut virer des vannes, en mettre d’autres. L’idée c’est de ne pas se limiter à l’écriture. Je vois vraiment le tournage comme un grand bac à sable où on peut y faire encore plein de choses, puis derrière, en montage, on cimente ce qu’on a fait de tout ce sable. Mais quand on est au tournage tout est encore possible, on peut tourner une scène entière pour ensuite la couper. Le moins possible bien-sûr parce qu’encore une fois ça coûte de l’argent, mais je me permets toujours ces choses-là.

Le montage introduit des passages aux rythmiques différentes, entre l’humour et l’émotion. Tu as travaillé avec Quentin Eiden qui a déjà monté d’autres projets avec toi. Comment on supervise un montage qui met en parallèle ces deux rythmiques ?

FB : Il y a toujours un truc de l’instinct, je pense. La différence, c’est que dans le côté émotion, tu cherches la vérité. Tu vas laisser des silences, des gens qui se coupent, des accidents. Ce sont souvent mes scènes les moins découpées. En revanche, la comédie, tu cherches une efficacité. On doit quand même y croire, mais quand j’en fais je veux surtout que les gens se marrent. C’est pas la même approche.

Ceci étant, j’ai pas de solution miracle. Il y a des scènes où on a trouvé très vite le bon rythme et d’autres qui ont pris longtemps. Pareil pour les scènes dramatiques. Je sais juste que quand la scène est triste, moi je veux de la vérité, qu’on croit en ce personnage. Par exemple, je ne mets pas de comédie dans mes engueulades, ou dans les moments tristes. Il peut y en avoir après ou avant, mais pas pendant, parce que personne ne fait ça. C’est comme dans la vie. C’est un petit travail d’équilibriste que je fais.


« Je regarde des films depuis gamin. Souvent je ne me sentais pas bien représenté »


Dans tes entretiens pour Des gens drôles (Playlist Society, 2024), tu disais vouloir parler de l’adolescence. Je n’ai pas vu un film sur l’adolescence, mais davantage du glissement de l’enfance dans les autres phases de la vie ?

FB : Je voulais vraiment traiter tous les personnages avec justesse, et que tous soient les héros de leur propre histoire. Souvent, et parfois dans de très bons films, je trouve les adolescents et les enfants un peu laissés de côté. C’est quelque chose que je comprends, il faut faire des choix, mais je voulais que les ados soient aussi importants que les adultes. Le film s’appelle Nous, les Leroy, ce sont des personnages à part entière, leur nom est de la même taille sur l’affiche que les autres. Je voulais qu’on les traite avec respect.

Je regarde des films depuis gamin, et souvent je ne me sentais pas bien représenté. L’adolescent me semblait cliché : la geekette, le gothique, ou bien ils avaient des problèmes insurmontables, de la drogue, etc. Moi je n’ai pas vécu ça. J’ai eu une adolescence assez banale, et je trouve malgré tout que j’ai eu des problèmes.

Maintenant, avec du recul, bien sûr je me rend compte que c’était pas si grave, mais quand j’avais seize ans je trouvais que c’était énorme. Et je ne voulais pas minimiser ces problèmes parce que c’est à destination « de tout le monde ». Je voulais que si un ado aille voir le film, il se dise « Bah ouais grave, moi aussi je flippe que ma copine aille pas à la même fac que moi. Moi aussi j’arrive pas à communiquer avec mes parents ». C’était des choses que je voulais traiter avec respect, toujours dans le cadre d’une comédie.


« Quand tu deviens jeune adulte, tu te rends compte que tes parents font juste ce qu’ils peuvent »


C’est un film que j’ai écrit à hauteur d’adolescent. C’est un film très personnel, que j’ai écrit un peu en me remettant dans mes pompes d’adolescent où je jugeait mes parents. Et ce glissement dont tu parles est très vrai, je le vendais un peu comme ça aux acteurs, je leur disais :

« Quand tu es enfant, tes parents sont des dieux. Quand t’es ado tu te rends compte que ce n’est pas le cas. T’es très déçu, tu brûles ton idole. Et quand tu deviens jeune adulte, tu te rends compte que tes parents ils font juste ce qu’ils peuvent. Ils sont comme toi, c’est ni des merdes ni des dieux, ils sont normaux. Et toi aussi tu es normal, et tu te rends compte que tu fais les mêmes erreurs que tes parents, et d’un seul coup tu as un peu d’empathie pour tes parents. »

C’est ça le trajet du film. Sachant que moi je ne suis pas tant que ça avec les parents : ils ont leurs défauts, le père c’est vraiment un pur produit du patriarcat, c’est un peu un con, il tape sur la table. Ça par exemple : quand il tape sur table, on ne fait pas de blague là-dessus. C’est important, c’est sérieux. C’est pas drôle, parfois le père il n’est juste pas sympathique. La mère aussi, parfois elle minimise les problèmes de sa fille. C’était important pour moi, je ne voulais pas faire trop de cadeaux. Je savais que ç’allait être joué par des comédiens tellement gentils. Par exemple José Garcia il amène tellement d’empathie, il faut y aller pour le faire passer pour un méchant.

Florent Bernard, devant la voiture que conduit José Garcia, écoute quelqu'un qui lui parle en hors-champ
© Apollo films
José Garcia a un peu les mêmes yeux de Khyan Khojandi où Adrien Ménielle. Dès qu’ils s’arrêtent, font une pause, il y a tout de suite quelque chose de dramatique, comme si on voyait d’un seul coup plus qu’un « comique ».

FB : Je pense que c’est le regard des gens marrants, surtout. Il se passe plein de trucs sur leurs visages, donc il n’est jamais relâché. Quand tu souris, tes pommettes se relèvent, parfois ils grimacent, leurs yeux ne sont jamais stables. Et donc, quand un acteur de comédie arrête ça, c’est comme couper une musique : tu vois le visage fixe, tu as une réaction. Ça te touche en plein cœur, c’est fou.

Moi je dis tout le temps : José Garcia c’est le Adam Sandler français parce qu’on l’a énormément vu en comédie, avec des perruques, des fausses dents, des accents… il hurle, il bouge… Et quand il arrête et qu’il te regarde fixement, un peu abattu, moi ça me touche en plein coeur.

Ce film est très personnel. Est-ce que tu ne l’as pas un peu fait pour ta fille, et donc à qui tu penses l’adresser ? 

FB : Ah, c’est rigolo. Alors c’est horrible pour ma fille si dans un futur lointain elle tombe sur ton interview, mais non, je ne l’ai pas fait pour elle. Quand j’ai commencé l’écriture, elle n’était pas prévue. J’ai commencé à écrire à 27 ans, et avec ma copine on n’a pas pensé à avoir d’enfant avant que j’en ai 30. Mais ce sera un joli témoignage et aussi une blague : je me dis que ma fille, elle verra le film quand elle aura 14-15 ans et dira « Mais pauvre con tu donnes des leçons sur les parents, tu crois que t’es mieux ? ». Parce que c’est sûr que je vais faire pleins d’erreurs et qu’elle va me détester pour pleins de choses, c’est la vie de parent.

Mais pour être tout à fait honnête, c’est surtout un film pour mes parents. C’est un film assez dur, qui ne cache rien, et les engueulades du film sont celles que j’ai vécues pour certaines. Mais il y a quelque chose de la déclaration d’amour quand-même. C’est admettre que je les aime, que je sais qu’ils font ce qu’ils peuvent. Et que même si on a vécu des trucs pas cool parce qu’ils s’engueulaient, qu’ils se sont séparés, on en a quand même retiré de jolies choses. Les personnages de mon film ont réussi à faire des choses que je n’ai pas réussi à faire avec mes parents. Donc c’est aussi admettre qu’il reste des choses que j’ai envie de partager avec eux.


« Je me sens à ma place sur un plateau de cinéma. »


Tu as déjà une belle carrière : des courts-métrages sur YouTube, ton podcast, une BD, tu as écrit avec Sébastien Vaniček sur Vermines. Le cinéma était ton point d’orgue ou bien y a-t-il encore quelque chose derrière ?

Quand j’ai commencé, c’était l’objectif. Pas le point final parce que le cinéma en lui-même n’en est pas un. Quand tu regardes les filmographies des metteurs en scène, ça passe par plein de choses. C’était donc le but au début, parce que quand j’ai commencé sur internet ça n’existait pas de faire des vidéos en ligne. C’est arrivé en même temps que moi, comme quelque chose de logique de l’ordre de « Là on peut être vu, donc j’y vais ». C’est une porte qu’on a prise et qui s’est refermée sur nous.

J’ai grandi en regardant des films, même pas de séries. Donc pour moi l’objectif, c’était le cinéma. Maintenant que j’en fais, je fais des choses tellement différentes : écrire en tant que gagman sur un blockbuster comme Jack Mimoun (Malik Bentalha et Ludovic Colbeau-Justin, 2022). Co-écrire à 50/50 un film d’horreur avec Vaniček. Là on est sur le prochain Evil Dead, ce qu’est encore autre chose, un film américain ! Et en même temps moi je fais une comédie sur les ronds-points en France, donc j’ai l’impression que je m’ennuierai jamais de ce métier.

Que t’a appris ce long-métrage ?

En tant que metteur en scène, je me suis senti à ma place sur un plateau de cinéma. Et j’en doutais, parce que ça fait longtemps que je n’avais pas réalisé. J’étais surtout auteur. Et là, d’être avec une équipe, dans la collaboration constante avec tous les métiers de la création, j’ai rarement été aussi heureux dans ma vie. Je me suis senti à place et ça n’arrive pas souvent.

Par exemple dans le Floodcast je ne me sens pas à place. Je n’aime pas m’écouter parler. Quand je fais le montage, je m’entends et je me dis « Mais ferme ta gueule ». Je ne peux pas me blairer. Je m’amuse avec Adrien, je continue parce que je passe un bon moment pendant l’enregistrement, et que les gens ça les fait kiffer, mais le produit final, je ne l’aime pas. Comme je ne me sentais pas à ma place sur internet. Mais sur un plateau d’un truc que j’ai écrit, là je me sens bien. Donc j’ai envie de continuer.

Après, j’ai envie de continuer à collaborer, et je n’ai pas l’égo de me dire « C’est fini, maintenant je ne me mets plus avec personne, j’écris mes trucs ». Pas du tout. J’adore écrire avec des gens. Je travaille avec des personnes dont je suis fan, c’est le cas d’Adrien Ménielle comme de Luis Rego, comme Charlotte Gainsbourg, comme José Garcia. Ce sont des gens que j’admire. Certains sont mes amis mais je suis d’abord un fan d’eux, et je vais continuer comme ça.

Quand Jonathan Cohen m’appelle pour La Flamme (2020), je me dis « Une parodie du Bachelor, en 2020, ça ne va jamais marcher ». Mais c’est Jonathan, et déjà à cette époque, je savais que c’était le mec le plus drôle. Je voulais bosser avec lui, et au final le succès de la série nous à échappé, Jonathan à eu raison sur tout la ligne. J’accepte toujours de bosser avec des gens dont j’admire le travail, et avec qui les rencontres humaines sont agréables.


« Moi je ne travaille pas avec des cons. »


Tu y as partiellement répondu déjà, mais simplement, tu t’es amusé à faire ce film ?

FB : Je peux pas te dire mieux, c’est l’expérience professionnelle qui m’a rendu le plus heureux. Ma fille ne serait pas née il y a deux ans, ça aurait été la chose qui m’a rendu le plus heureux de ma vie. C’était tellement chouette parce que j’ai eu tellement de chance, aussi. Les gens ne parlent jamais de chance, parce qu’ils trouvent que ça ne fait pas cool. Ils préfèrent dire qu’ils ont beaucoup travaillé. J’ai beaucoup travaillé, mais si je travaille beaucoup c’est parce qu’à la base, j’ai eu cette chance-là.

Et je me suis très bien entouré. Mon directeur de la photo était exceptionnel, des gars de la musique ont été fous, le preneur son, les acteurs… Imagine : j’ai eu deux idoles, qui en plus sont gentilles ! Parce que moi je ne travaille pas avec les cons. J’ai travaillé avec des connards et je n’ai plus envie de le faire, ça rend malheureux et le résultat en pâtit aussi. Là, je me rends compte qu’ils sont gentils, qu’ils aiment le texte, qu’ils m’aiment bien moi et ma vision. Quel bonheur ! Donc aujourd’hui, c’est incroyable, je suis quand même anxieux parce que le film ne m’appartient plus, et je ne sais pas si le public va aimer.

Quand on a reçu le prix de l’Alpe d’Huez, j’ai jubilé deux minutes puis je me suis dit « On a un prix, les gens vont attendre la comédie de l’année alors que moi je n’ai pas tant l’impression qu’on ait fait une comédie ». À chaque fois, j’ai du mal à profiter des bons moments. Mais le tournage n’était qu’une succession de bons moments, c’était génial.

Dans le Floodcast, Adrien Ménielle disait qu’il avait été impressionné de ta manière de diriger Charlotte Gainsbourg et José Garcia, où tu n’hésitais pas à leur dire quand ça n’allait pas.

FB : Parce que je sais ce que je veux. Je sais comment je veux que ça sonne. Je suis touché qu’ils soient venus me chercher, qu’ils soient là, mais j’ai quand même un film en tête. Le bon côté, c’est que dès le début il y a eu un contrat de confiance entre eux et moi. On a fait beaucoup de répétitions.

Charlotte a eu milles occasions de partir, parce qu’on a mis longtemps à financer le film. Elle est restée. Une fois qu’on y était, ils me faisaient confiance. Et on y revient : ce ne sont pas des connards. S’ils en avaient été, j’aurais été plus en retrait, je peux être très impressionné. Mais vu qu’ils étaient gentils, qu’ils voulaient faire un bon film et qu’ils voulaient faire mon film, c’était d’une facilité déconcertante.

Nous, les Leroy, en salle depuis le 10 Avril.

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