Après avoir moissonné quelques sympathiques prix dans les festivals de films indépendants ces derniers mois (Grand Prix du FIF de Bordeaux, primé au FIF de Saint Jean de Luz), le long métrage tunisien Noura Rêve de Hinde Boujemaa arrive sur nos écrans.
Dans Noura Rêve, Noura (Hend Sabri) est une mère de famille de trois enfants. Femme active de la classe moyenne tunisienne, elle travaille comme blanchisseuse. Son mari Jamel (Lofti Abdelli) purge une longue peine de prison pour de multiples larcins. Epuisée par les visites au parloir et cette vie délictueuse, elle a demandé le divorce, qui sera prononcé dans cinq jours. Durant ce compte à rebours, elle refait sa vie avec Lassad (Hakim Boumsaoudi), honnête propriétaire d’un garage. Mais leur union sentimentale est menacée par un triple problème : la loi tunisienne punit sévèrement leur relation adultérine, Jamel ne veut pas divorcer, et il sort de prison plus tôt que prévu.
« Ciel ! Mon mari ! » pense-t-on d’abord. Serait-ce du Feydeau ? Si le divorce est rarement drôle à la ville, il n’est pas rare que la comédie s’emparât du sujet. Dans les années soixante, Divorce à l’italienne de Pietro Germi jouait la carte de l’humour pour moquer la rigide loi italienne de l’époque, interdisant purement et simplement le divorce. En Égypte, le comédien Adel Imam ne manquât pas, lui aussi, de railler la pudibonderie et l’absurdité des lois maritales de son pays, sous le règne d’Hosni Moubarak. Mais le progrès ne suit pas toujours le sens de l’histoire, et en 2011, ce même Adel Imam fut condamné à la prison par les obscurantistes arrivés au pouvoir à l’issue du Printemps Arabe, ces mêmes obscurantistes dont il se moquait depuis 40 ans. Dans les sociétés où le pouvoir religieux est puissant, le sujet du divorce est particulièrement sensible. L’aborder dans un film n’est pas seulement une démarche artistique, c’est également un acte militant et authentiquement courageux.
La réalisatrice Hinde Boujemaa retrace ici un drame social tendu et moralement étouffant, dans la lignée d’un Kramer contre Kramer, ou du récent Jusqu’à la Garde. Mais point trop d’eurocentrisme ni de vision occidentale, tout l’intérêt de Noura rêve est de montrer la condition féminine au-delà de la Méditerranée, et un patriarcat local qui ferait passer le nôtre pour une gentille blague.
Le film met en évidence un statut de la femme qui est plus proche de celui du bétail, que de l’individu libre. L’adjectif possessif détermine son statut social : Noura est d’abord la femme de l’homme, « sa » femme plutôt que « une » femme. En Tunisie, l’égalité homme-femme n’a été inscrite dans la Constitution qu’en 2014. Dans les moeurs et les esprits, c’est toujours une idée conservatrice de « complémentarité homme-femme » qui prédomine, le féminin étant le supplétif du masculin. Noura va de Charybde en Scylla, écrasée moralement par son mari puis par son amant. Elle est considérée par les deux, l’honnête Lassad comme le malhonnête Jamel, comme une possession.
Noura rêve met en lumière la fragilité de l’ego de ses protagonistes masculins, et peut-être plus généralement, de l’homme méditerranéen. L’ego qui veut sauver la face devant la société, coûte que coûte. Garder sa femme est d’abord une question d’honneur et de virilité. Hend Sabri incarne remarquablement une Noura lucide et moderne, tenaillée par les archaïsmes et la misogynie de son milieu. Elle subit un double sentiment de culpabilité, celui de la « femme adultère », et celui de la « mauvaise mère », qui ferait passer sa vie sentimentale avant sa famille.
Le film joue habilement des genres et après le drame social, vire au thriller, instaurant un suspense pesant sur l’avenir de Noura et ses enfants. Alors que tout le poids de l’opprobre retombe sur ses seules épaules et que les hommes sont absents du banc des accusés, on ne peut s’empêcher de repenser à Brassens : « Ne jetez pas la pierre à la femme infidèle, je suis derrière »
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