Dans Nostalgia (sortie en salles le 4 janvier), le réalisateur italien Mario Martone sublime Naples, sa ville natale, dont les rues, les personnages et les histoires se croisent et s’attirent. D’émouvantes déambulations entre passé et présent entreprises par le grand Pierfrancesco Favino.
Voilà 40 ans que Felice n’est pas revenu dans sa ville qui l’a vue naître. Alors qu’il vit au Caire, cet Italien converti à l’islam retourne à Naples au chevet de sa mère, mourante. De ce retour sur les pas de son enfance, Felice tente par tous les moyens de comprendre son départ, en fouillant avec émoi les rues de son quartier. Jusqu’à retrouver Oreste, son meilleur ami et aussi pire ennemi…
Ville sacrée, ville maudite
Qui n’a jamais éprouvé cette étrange sensation de revenir sur les traces de son enfance ? Ce sentiment contrarié, entre plaisir du souvenir insouciant et douleur liée à un temps qui n’est plus et qui ne sera plus jamais. Une cour d’école, les bords d’une rivière, une maison, une ville… c’est un peu tout cela que raconte Mario Martone dans Nostalgia, seul titre qui s’impose ici.
Dans ce film, le personnage de Felice (interprété par Pierfrancesco Favino, Le Traître, Le Monde de Narnia : Le Prince Caspian) se sent dès les premières minutes déchiré par son retour à Naples, 40 années après l’avoir quittée. Il revoit avec bonheur et peine sa mère Teresa (Aurora Quattrocchi), souffrante et vivant dans de misérables conditions. Sa ville aussi a changé. Et particulièrement le Rione Sanità, quartier populaire situé loin de la mer, où les rues étroites et pentues dessinent un véritable labyrinthe. Un terrain de jeu idéal pour le réalisateur qui souhaite faire évoluer son personnage dans un milieu à la fois familier et tout à fait hostile.
« Le passé n’existe pas »
Pour Felice, qui a construit sa vie au Caire et qui a embrassé l’islam, Naples lui est en effet devenue hostile. Les rares personnes qu’il a connues enfant ne le reconnaissent pas ou peu, se moquent même de son accent venu d’Orient. Il est un étranger, un déraciné dans son propre pays. Pourtant, « c’est ici [s]on pays », clame-t-il à qui le croit d’ailleurs. La force de Nostalgia réside probablement dans cette ambiguïté nourrie par ce déracinement, ce décalage porté tout au long du film.
Felice profite de sa présence à Naples pour chercher des réponses sur son exil, son passé qui le ronge. Et c’est auprès de son ami d’enfance qu’il commence ses recherches. Très vite, Oreste (Tommaso Ragno) joue au chat et à la souris avec son ancien camarade, le trompe, le fait errer dans les rues délabrées du quartier jusqu’à se montrer. Au fil du temps, il est devenu chef des bandits de La Sanità et craint par ses habitants, se laisse finalement approcher. Au cours d’une scène de grande intensité, Felice et Oreste sont de nouveau face à face, 40 ans plus tard. Ils s’observent, se craignent. Le premier veut invoquer le passé, le second veut l’oublier. « Le passé n’existe pas » pour Oreste. Felice le sait, il n’obtiendra rien.
Même dans sa ville, au plus près de celles et ceux qui ont jadis compté pour lui, Felice se retrouve dans l’impasse. Comme si partir à la pêche aux souvenirs ne peut apporter que son lot de chagrin. Ce film, aussi puissant que destructeur, nous met en garde. La nostalgie est comme toute bonne chose : en abuser peut s’avérer ravageur…
Unique étendard du cinéma italien au festival de Cannes en 2022, Nostalgia présente avec subtilité et justesse Naples comme le lieu de tous les espoirs, mais aussi de tous les doutes. Si le film porte un message général somme toute assez universel, Mario Martone en fait une œuvre très personnelle et qui invite chacun.e d’entre nous à se méfier du passé autant que de l’avenir.