Nos cérémonies de Simon Rieth est un conte réaliste sur une jeunesse sans objectifs, perdue dans un monde qui la dépasse.
Il y a, avec Simon Rieth et, récemment, Martin Jauvat, une nouvelle génération de cinéastes qui mêlent sans gêne réalisme et fantastique. Premier long-métrage du jeune réalisateur, Nos cérémonies est une de ces œuvres hybrides où l’extraordinaire survient sans prévenir, et surtout, sans s’expliquer.
Royan, 2011. Alors que l’été étire ses jours brûlants, deux jeunes frères, Tony et Noé, jouent au jeu de la mort et du hasard… Jusqu’à l’accident qui changera leur vie à jamais. Dix ans plus tard et désormais jeunes adultes, ils retournent à Royan et recroisent la route de Cassandre, leur amour d’enfance. Mais les frères cachent depuis tout ce temps un secret…
Deux frères
Simon Rieth fait ses films en famille. Il a longtemps accordé ses premiers rôles à son frère, Hugo Rieth, et les autres membres de l’équipe sont, pour la plupart, des proches. Si cela pourrait sembler anecdotique, c’est en réalité révélateur d’une forme esthétique plus large, et d’un attrait souligné pour les acteurs amateurs. Pour Nos cérémonies, il est important de noter la grande qualité du choix de casting. Dans un souci de réalisme qui se dessine tout au long du film, les deux acteurs, Raymond et Simon Baur, ne jouent pas la fraternité, ils la vivent réellement dans leur chair. Ce très beau choix, trop rare dans le cinéma actuel, nous offre des scènes d’une grande sincérité entre les deux jeunes hommes.
Cependant, cette authenticité du casting est peut-être également l’une des rares limite du film. À l’image d’une famille, Nos cérémonies est, par moment, trop hermétique au monde extérieur. Le film évolue parallèlement à celui-ci. C’est précisément lorsqu’un élément périphérique à l’écosystème familiale, leur voisine Cassandre, pénètre dans la vie des frères, que leur équilibre s’effondre. Nos cérémonies construit ainsi une bulle autour de ces deux acteurs, dont l’explosion est le sujet central du film.
Une esthétique du désert
Cela est d’autant plus frappant dans les choix de lieux de tournage. En effet, ils se déroulent presque entièrement dans des endroits déserts (plages, forêts), ou clos (jardin, maison). Tout semble fait pour qu’aucune donnée extérieure ne viennent perturber l’harmonie familiale.
Néanmoins, les rares scènes où les deux frères sont confrontés au monde social sont poignantes. Leur première apparition en jeunes adultes en est un bon exemple. Le cadre est large et nous montre leur arrivée à Royan, entourés de touristes sur un bateau. Cet unique plan, d’apparence simple, mais à la beauté esthétique certaine, contient tout leur rapport au monde. Leurs statures figées, voûtées, unifiées, si bien qu’ils ne semblent faire qu’un, dénotent avec la population autour d’eux. Cependant, le film s’écarte par la suite de cette forme esthétique.
Portrait d’une jeunesse en feu
Malgré plusieurs courts-métrages et, désormais, un long-métrage, aucun adulte n’est visible dans l’œuvre de Simon Rieth. Ce n’est pas une question d’âge, mais de place dans le champ social. Dans ses films, l’adulte est celui qui travaille et élève des enfants. Ainsi, le réalisateur ne s’intéresse pas à eux, et les relègue au hors-champ. Cela est tout à fait visible dans la première séquence du film, où les deux frères sont encore des enfants. Leurs parents existent par le bruit de leurs cris et de leurs disputes, mais jamais par l’image. Si cela est formellement intéressant, c’est avant tout une métaphore d’un mal désincarné rongeant la jeunesse dépeinte par le réalisateur.
Car les jeunes personnages de Simon Rieth errent sans buts, rongés par un mal incurable qui s’abat sur eux comme une fatalité. Il compose ainsi, de façon assez littérale dans Nos cérémonies, avec des morts et des fantômes. Ses personnages sont si fascinés par l’autodestruction qu’ils ritualiseront le passage à l’acte.
Une mise en scène pure et fidèle
Cartographie sombre d’une jeunesse perdue, la métaphore du conte vient se confronter à un jeu d’acteur réaliste. Simon Rieth et Alicia Cadot (directrice du casting) sont allés dénicher des jeunes dans la vraie vie. Tous, ou presque, sont des acteurs amateurs, et leurs personnalités semblent avoir irriguées les personnages qu’ils incarnent. Il en ressort une fidélité au réel très touchante et appréciable.
Celle-ci est permise grâce à l’utilisation de nombreux plans séquences, souvent larges, dont le réalisateur en a fait sa spécialité. Il ne s’agit pas de faire une démonstration de force en faisant virevolter sa caméra, comme pourrait le faire un Sam Mendes dans 1917. Ici, le plan séquence est utilisé dans toute sa pureté. Il permet d’inscrire le film dans une temporalité réelle, mais aussi de redonner voix, corps et puissance à ses acteurs. Ils deviennent ainsi maître du temps, de leur diction, de leurs gestes, et ne sont pas soumis à la dictature du découpage. Ce choix de mise en scène permet de nous montrer une jeunesse qui, comme rarement auparavant, sonne juste.
Il est toujours intéressant de voir apparaître de nouveaux auteurs dans le cinéma français, d’autant plus lorsqu’ils portent avec eux de nouveaux visages et de nouvelles équipes. En cela, Nos cérémonies est un film fait par des jeunes sur des jeunes, et il en ressort une belle authenticité. Néanmoins, le film souffre parfois de son manque d’ouverture sur le monde, et de son cloisonnement. Il n’en demeure pas moins un long-métrage tout à fait intéressant, et singulier à bien des égards.
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