A l’occasion de la sortie de Nos cérémonies, nous nous sommes entretenus avec Simon Rieth pour discuter de son film, à quelques jours de sa sortie.
Avec Nos cérémonies, Simon Rieth inscrit déjà sa singularité dans le paysage cinématographique français. Dans cet interview, il nous explique son rapport au réalisme, au fantastique, et à la jeunesse qu’il filme.
“Royan, 2011. Alors que l’été étire ses jours brûlants, deux jeunes frères, Tony et Noé, jouent au jeu de la mort et du hasard… Jusqu’à l’accident qui changera leur vie à jamais. Dix ans plus tard et désormais jeunes adultes, ils retournent à Royan et recroisent la route de Cassandre, leur amour d’enfance. Mais les frères cachent depuis tout ce temps un secret…”
“On a fait un très long casting. Pendant un an et demi on a vu plus de 1500 jeunes.”
En regardant vos courts-métrages, on a l’impression que Nos cérémonies est, d’une certaine manière, une synthèse de toutes vos précédentes œuvres. Que ce soit dans l’usage du fantastique, dans les thématiques abordées ou la direction d’acteur. Est-ce que ce premier long-métrage est un projet qui mûrit en vous depuis longtemps ?
Simon Rieth : Oui, quand je fais Nos Cérémonies, il y a une sorte d’aboutissement de tous mes travaux précédents. J’ai pris, selon moi, un peu du meilleur de chaque courts que j’avais fait pour arriver à faire ce premier long. Et ces courts-métrages, ils m’ont permis aussi de rater des choses, d’en réussir. C’est sûr que Nos cérémonies serait totalement différent si je n’avais pas fait les courts métrages, qui ont été une école.
L’idée de Nos cérémonies ça arrive un peu avant que je tourne un de mes derniers courts-métrages, qui s’appelle Sans amour, en 2018. J’ai l’idée à peu près à ce moment-là du concept du film et ma productrice m’a poussé à commencer à l’écrire. Du coup ça c’est fait un peu dans la lancée. Mais c’est certain qu’il y avait l’idée d’un aboutissement de tous ces précédents courts-métrages, même s’ils ont tous une existence propre.
En n’ayant aucune tête d’affiche, c’est un choix de casting très osé pour un premier film. Comment s’est fait le casting ? Et est-ce que vous saviez depuis le début que vous souhaitiez travailler avec des acteurs amateurs ?
Simon Rieth : J’avais l’envie de travailler avec des acteurs non professionnels parce que c’est quelque chose que je connais et que j’ai fait dans tous mes films. Mais ma directrice de casting m’a dit de quand même voir des acteurs de formation. Quoi qu’il arrive, ça n’aurait jamais été de gros acteurs. Je voulais des jeunes qui ont le même âge que les personnages du film. Je ne voulais pas prendre des gens de 30 ans pour jouer des jeunes de 20 ans. On a quand même vu des acteurs qui sortaient d’écoles de théâtre. Mais ça n’a pas trop accroché. Ils jouaient super bien, mais je crois que je cherchais vraiment des personnalités. Du coup, on a fait un très long casting. Pendant un an et demi on a vu plus de 1500 jeunes. C’était à la fois un casting sauvage et sur les réseaux sociaux.
Je m’étais dit que ce serait impossible de trouver deux frères qui me plaisent. En fait, je n’y pensais même pas trop, parce que je me disais que ce serait un miracle. Et après, il se trouve que quand j’ai rencontré Simon et Raymond, j’ai tout de suite vu cette alchimie très forte entre eux. Je me suis dit que ce serait compliqué de le tricher ça.
Est-ce que leur rôle a été réécrit en fonction leur personnalité ?
Simon Rieth : Ouais complètement. On a fait six mois de répétitions, et on se voyait une fois par semaine. Ce n’était pas que pour bosser le texte du film, c’était aussi pour apprendre à se connaître. Des fois, on se voyait juste pendant quatre heures, ils me racontaient leur vie et on discutait. Je prenais des notes et certaines choses ont été rajoutées aux dialogues s’adapter à eux. C’était quelque chose qui comptait pour moi, qu’ils aient un scénario sur mesure.
“Le plan séquence me permet d’instaurer des blocs de temps à l’intérieur du film.”
Dans vos films, on ne voit aucun adulte. J’ai l’impression que ce n’est pas une question d’âge mais plutôt de place dans le champ social. Pourquoi ce choix ?
Simon Rieth : Il y a plusieurs choses. Il y a déjà l’idée que quand je fais ce film, et quand je fais les autres, je me dis que je vais parler de chose que je connais, et donc je vais parler de jeunes, d’un âge dont je sors tout juste. Il y a l’envie d’être à cette hauteur là, c’est-à-dire de ne pas avoir un film avec le regard d’un adulte sur les jeunes. Moi ce qui m’intéresse, c’est d’être à leur niveau, et d’être à leur regard. Et dans Nos cérémonies, c’est totalement le cas dans la scène avec les enfants qui déjeunent, où la mère est décadrée. On est vraiment au niveau des enfants.
Il y a également l’idée de faire deux mondes qui ne se comprennent pas, qui ne rentrent pas en communication, comme s’ils ne parlaient pas le même langage. C’est aussi des choses qui m’intéressent, de raconter cette sorte d’incompréhension. Et c’est aussi parce que j’ai peur, si je me mets à créer des schémas familiaux, que ça devienne trop psychologisant. Moi ce qui m’intéresse, c’est la pulsion de vie qu’ils ont dans le film. Je ne voulais pas que ce soit un film psychologique. C’est quelque chose qui me fait toujours peur.
Vous avez un style de mise en scène déjà très affirmé. Je pense notamment à l’usage de longs plans séquences, parfois fixes. Qu’est-ce qui vous plaît tant dans ce dispositif ?
Simon Rieth : Premièrement, il y a le rapport au temps. C’est-à-dire que j’aime beaucoup me dire que dans un film, tu peux avoir un plan pendant cinq minutes qui va filmer lentement une discussion. Et se dire que ce n’est pas forcément quelque chose qui va faire avancer le récit, ou qui va nourrir la dramaturgie. Le plan séquence me permet d’instaurer des blocs de temps à l’intérieur du film.
Il y a aussi le fait que j’aime bien diriger les acteurs dans un plan séquence parce qu’il y a un truc tellement chorégraphique. Tu les diriges un peu comme des danseurs. Et là en plus avec des gars qui font des sports de combat comme les acteurs, il y avait quelque chose de génial. Tout est dans le timing. Il faut essayer de trouver du réalisme dans quelque chose qui est ultra construit et chorégraphié. J’aime bien ce contraste entre le plan très compliqué et en même temps d’une simplicité extrême à l’intérieur.
T’as cette longue discussion dans le film quand ils sont au bord de la mare après la soirée. Le plan dure sept minutes, et il y a simplement un zoom très lent. C’est juste deux personnes qui discutent. Sauf qu’on commence à tourner, et Raymond oublie son texte. Donc il y a un blanc qui dure une minute, et au bout d’un moment Maïra lui demande si ça va. C’est pour le relancer parce qu’elle sait pas ce qu’il fait. Et au montage, j’ai commencé par le blanc, j’ai pas mis le début de la discussion qui dure trois minutes. Vu qu’il se souvient plus de son texte, ça crée du malaise entre eux, mais qui raconte quelque chose de très vrai sur le début du sentiment amoureux. Et du coup, ça c’est quelque chose d’hasardeux qui arrivent au milieu du plan séquence organisé, et au final je m’en sers.
“Le fantastique dans un film comme ça, c’est un jeu d’équilibriste.”
Dans ce film, l’usage du fantastique advient sans s’expliquer et sans prévenir. Comment avez-vous construit ces moments-là ?
S R : Tout était déjà là depuis le début. Ensuite, tout le travail va être de doser le fantastique. À quel point on montre les choses, à quel point on coupe. Dans Nos cérémonies, j’ai laissé beaucoup de choses hors champ. Donc c’est un fantastique qui n’est pas toujours à l’écran. On l’entend beaucoup, mais on ne le voit pas tout le temps. Ça permet de laisser du mystère. Tout le travail de montage a été d’équilibrer un peu ce mystère. Le fantastique dans un film comme ça, c’est vraiment un jeu d’équilibriste. Parce que si tu en mets trop ça peut devenir lourd. Faut garder le mystère, c’est ça qui me plaît moi.
Vous vous inscrivez avec ce film dans une école qu’on pourrait qualifier de réalisme fantastique. Quelles ont été vos influences pour concevoir votre esthétique ?
S R : J’ai énormément d’influences. J’ai grandi en regardant des films. Il y a beaucoup de cinéastes qui sont des phares pour moi, et avec lesquels j’ai grandi. Il y a Larry Clark, Gus Van Sant, Greg Araki. Et j’en parle moins, mais les films de Shyamalan ont été très importants pour moi. C’est un réalisateur qui a toujours fait des films fantastiques, mais où il y avait une vraie croyance dans son fantastique. En cinéaste français, j’adore Bruno Dumont, Alain Guiraudie, Abdellatif Kechiche, Claire Denis. C’est des cinéastes qui ont beaucoup compté pour moi.
En parallèle de vos fictions, vous avez réalisé un clip pour SDM. Est-ce que c’est une activité que vous souhaitez poursuivre dans le futur ?
S R : J’aimerais beaucoup. J’adore faire des clips, surtout quand c’est avec des artistes que j’apprécie. Parce que j’aime beaucoup le rap. Par exemple, Kalash Criminel (NDLR : on entend une de ses musiques dans Nos cérémonies), c’est un artiste avec qui j’aimerais beaucoup bosser.
Vous venez de faire un film avec deux frères, qui parle de famille…
S R : PNL (rire). Ça serait beau. En tout cas, ce qui est bien avec les clips, c’est que tu peux expérimenter des choses en parallèle.
Et au niveau du cinéma, vous travaillez sur des nouveaux projets ?
S R : Ouais, je suis en train d’écrire un nouveau long métrage. L’écriture prend toujours du temps, mais je suis très heureux de me relancer dans un nouveau projet.