Il est l’heure, le décompte arrive à sa fin. Nous vous avions prévenu en mai dernier, Nino est la sortie à ne surtout pas manquer en salles cette année. Et qui de mieux que sa réalisatrice, Pauline Loquès, pour vous convaincre, si nos efforts n’avaient pas suffit ?
Présenté à la Semaine de la Critique et depuis lauréat de nombreuses récompenses, Nino s’offre enfin au grand public comme une évidence, suivi d’un parcours plus que glorieux. Difficile d’imaginer plus joli départ pour un premier long-métrage, dont l’amour déborde largement de l’œuvre. Nous nous permettons de ne pas être tout à fait objectifs face à Nino, qui nous a totalement bouleversé et dont notre rencontre avec sa chaleureuse réalisatrice Pauline Loquès est apparue comme un petit miracle. Découvrez ici quelques extraits de ce passionnant échange, à écouter en version intégrale sur YouTube et Spotify.
« Dans trois jours, Nino (Théodore Pellerin) devra affronter une grande épreuve. D’ici là, les médecins lui ont confié deux missions. Deux impératifs qui vont mener le jeune homme à travers Paris, le pousser à refaire corps avec les autres et avec lui-même. »

Je voulais d’abord revenir chronologiquement au point de départ. Qu’est-ce qui fait que, toi qui n’a jamais réalisé de long-métrage, tu te dis : « ce projet ça va en être un et je vais le mener jusqu’au bout » ?
PAULINE LOQUÈS : Ah, c’est intéressant ce projet en particulier ! Parce que, trouver la bonne idée c’est déjà quelque chose. Mais la bonne idée pour un long-métrage c’est encore autre chose parce qu’il faut se demander « Est-ce que c’est « le bon » pour y passer autant de temps ? ». Tout en se disant aussi que ça peut ne jamais se faire. Si le temps que j’ai passé dessus finalement n’aboutit à rien, il faut quand même que ce soit quelque chose d’intéressant pour soi.
Donc moi, ça a été assez rapide de choisir celui-là, parce que j’ai rencontré ma productrice qui m’a demandé si j’avais des idées de longs-métrages. À l’époque, j’étais confrontée à la maladie d’un jeune homme dans ma famille. Je lui dis « Écoute, je crois que je peux écrire que sur ça. Je ne sais pas si ça fera un bon film ou pas mais c’est le seul truc qui m’intéresse. ».
La dernière fois j’entendais une écrivaine qui disait « Moi je travaille ce qui me travaille » et je trouve ça intéressant comme formule. Je me suis dit, je vais travailler ce qui m’incommode, ce qui m’inconforte, ce qui me questionne. En fait c’est ça, c’est ce qui travaille à l’intérieur de soi déjà naturellement. Donc c’est pour ça que je suis partie sur la maladie.
Entre ce que tu avais comme projet au départ et le montage, il y a beaucoup de personnes qui ont rejoint l’aventure. Est-ce que tu sens qu’il y a une grosse différence entre le projet écrit et ce qu’en a fait le montage ?
P.L : Oui et non. Évidemment que tous les gens qui arrivent dans le projet apportent d’eux même et c’est ça qui est génial. C’est très beau, le film se déplace en fonction des gens. Le film est forcément différent, dans ma tête je n’avais pas quelque chose d’extrêmement défini. Et en même temps, j’ai l’impression que tout le monde a compris le film dès l’écriture.
Il est mieux que ce que j’avais imaginé. Quand je le vois, je n’arrive pas à être une spectatrice, je ne vois que des petites parties des gens qui l’ont fait. Et ça c’est la magie de quand on fait un film et qu’on laisse de la place aux gens. Il y avait une sorte d’harmonie générale sur l’endroit où aller.
On sent qu’il y a eu quelque chose de très intime et fort sur le tournage. La première mondiale se fait à Cannes (La Semaine de la Critique). Est-ce qu’il y a une certaine pression de leur montrer là bas ?
P.L : Énorme ! Et en même temps, ils ont été vraiment mignons car ils m’ont pas mis la pression plus que ça. C’est ça aussi qui est beau avec les équipes de tournage. On a l’impression que sur le moment c’est le film de leur vie et puis trois mois après ils passent à autre chose. Mais oui, je ne voulais pas les décevoir. Je savais ce qu’ils avaient donné donc je voulais qu’ils s’y retrouvent. Chacun a été surpris.
Et en même temps je voulais vraiment aller à Cannes pour eux aussi. C’est bien pour le film, c’est bien pour moi. Mais un film qui va à Cannes c’est du boulot pour l’année suivante pour pleins de gens. Comme j’avais une équipe en majorité jeune et féminine, ça leur ouvre des portes.

Sur les photos à Cannes il y a une énorme émotion sur les visages, notamment ceux de William Lebghil et Théodore Pellerin. On a l’impression qu’ils découvrent encore autre chose que le projet que vous avez tourné.
PAULINE LOQUÈS : Je pense que Théodore, c’était énorme pour lui de découvrir le film. Je l’ai rencontré en 2023, donc c’est vraiment des années de travail et d’accomplissement. William, c’est encore autre chose. C’est : venir quelques jours sur le tournage et découvrir ce qu’on a fait de l’histoire. Généralement c’est lui qui fait pleurer les gens à la fin de ses films. C’est des gens très sensibles, très gentils, très doux.
Est-ce que tu peux nous parler un peu de Théodore Pellerin justement ? Lors de plusieurs entretiens, tu as notamment mentionné l’idée d’effacement entre lui et le personnage.
P.L : J’ai fait un court-métrage avec des actrices que je connaissais. Tout était un peu mélangé entre ce qu’était une comédienne et une amie. Là c’était quelque chose de beaucoup plus professionnel, c’était que des personnes que je ne connaissais pas. J’avais vraiment peur. En commençant les castings je me disais que j’allais pas trouver le bon acteur. C’est même pas « le bon » en terme de hauteur mais j’aimais trop mon personnage et j’avais peur de ne pas trouver… C’est un film portrait, si on met quelqu’un qui prend trop l’écran, on le verra du début à la fin en tant qu’acteur et pas en tant que personnage.
Et Théodore c’est la directrice de casting qui a eu l’idée. Je voyais pas du tout qui c’était. Je l’ai noté, j’ai encore la feuille, avec un stylo différent à la toute fin. Ils étaient tous en noir et lui il est en bleu. J’ai regardé un peu par hasard Chien de garde de Sophie Dupuis. Et je me suis pris une claque de spectatrice. J’arrivais plus à m’arrêter, je me disais qu’il était trop fort et que j’avais rarement vu ça.
J’ai eu très envie de le rencontrer. Il est arrivé en disant que c’était un des meilleurs scénarios qu’il avait lu de sa vie, que ça l’avait bouleversé. J’ai senti que c’était réel et qu’il y avait vraiment eu une connexion qui s’était faite. Plus je le regardais, plus je me disais qu’il avait beaucoup de choses intéressantes pour le film. Il avait une sorte de maladresse naturelle, une très grande vulnérabilité qui est totalement assumée et en même temps il est charismatique.
« Plus le film est montré, plus l’amour se transmet. »
C’est intéressant qu’il ait autant aimé le scénario. Il disait dans une interview que pour se livrer il avait besoin de ressentir de l’amour. J’ai l’impression que c’est ce qu’il s’est passé sur votre tournage. Toi, une fois que le montage est terminé, comment fais-tu pour Te détacher d’un projet, certes professionnel, mais qui a convoqué autant d’intimité ?
PAULINE LOQUÈS : Théodore et moi on est devenus très proches. Trois jours après le tournage, il est parti à Montréal. Et là j’ai enchaîné sur le montage et je me suis retrouvée dans une sorte de désarroi, je me suis demandée comment j’allais finir ce film sans lui. Quand ils sont tous partis, je me suis dit qu’il fallait que je trouve l’émotion et la grâce seule dans une salle de montage. Donc c’est plutôt à ce moment là que je me suis dit : « Je ne vais pas réussir ». J’ai vraiment dû oublier Théodore. Le personnage est encore plus venu me saisir, mais à l’écran.
J’ai l’impression que ça m’a déjà un peu quitté, là, depuis Cannes en fait. Plus le film est montré, plus l’amour se transmet.

L’idée de la transmission est intéressante. Nino reste beaucoup en nous. Dans le générique de fin, tu réalises aussi cette transmission. Ce n’est simplement un défilement de crédits, il y a une vraie scène de conclusion. Pourquoi avoir choisi de finir ton film de cette façon ?
PAULINE LOQUÈS : Il y avait la question de : À quel moment on rejoint la réalité ? À quel moment on reste dans la fiction ? C’était important pour moi de finir le film par une dédicace, parce que c’est la raison pour laquelle j’ai fait le film. Il fallait que ce soit présent. Et aussi pour dire, ça arrive à ce jeune homme mais ça arrive à pleins de jeunes hommes et de jeunes femmes.
« Je crois très profondément qu’on ne se sort pas tout seul d’une situation comme ça. Et en même temps, on ne peut vivre que seul cette épreuve. »
Alors oui il y a Nino, c’est le titre du film, c’est le personnage principal. Mais les autres personnages sont aussi extrêmement touchants. Ils apportent du souffle à la fois au film et au personnage. Pourquoi en avoir fait un film de rencontre finalement ?
PAULINE LOQUÈS : Je pense que c’est pas quelque chose que j’ai décidé, mais qu’à l’écriture ça s’est fait un peu comme ça. J’aime bien les films de bande. Je crois très profondément qu’on ne se sort pas tout seul d’une situation comme ça. Et en même temps, on ne peut vivre que seul cette épreuve. Il y a toujours quelque chose qui m’intéresse entre la solitude existentielle qui fait que quand on est mal personne ne comprendra notre état. Et en même temps notre premier réflexe c’est d’aller chercher de l’aide alors qu’on sait que personne ne va le vivre à notre place. Ce balancier là me travaille tout le temps, entre le besoin de solitude et l’extrême besoin des autres.
C’est un peu ça sur un tournage aussi finalement, arriver à tenir son rôle de réalisatrice en menant son projet à soi, et en même temps c’est un projet collectif qui appartient à tout le monde.
P.L : Ouais, c’est vrai ! Il y a des moments où on a extrêmement besoin d’être seule, à l’écriture. Et puis on finit entouré de 50 personnes avec qui il faut communiquer, créer du lien et une harmonie. Puis on se retrouve à nouveau toute seule. C’est vrai que c’est toujours une illusion de collectif ou une illusion de solitude. Mais je dis souvent « nous » pour le film, j’ai du mal à dire « mon film ».
– Entretien réalisé le 19 août 2025 à Paris