Mon Ami Robot de Pablo Berger propose un voyage sensoriel sans dialogue qui aiguise les sens et attise la curiosité.
2023 a été une année réjouissante en termes de films d’animation. Que ce soit Nimona, Into The Spider Verse ou encore le Garçon et le Héron, les histoires proposées étaient exigeantes mais accessibles. Le tout en exploitant au maximum les différentes techniques d’animation. Mon Ami Robot vient s’inscrire dans cette lignée. Après des diffusions au Festival de Cannes et au Festival d’Annecy, le film débarque dans les salles obscures le 27 décembre.
Chevalier des Arts et des Lettres, membre de l’Académie d’Hollywood, représentant de l’Espagne aux Oscars en 2013, Pablo Berger est l’un des cinéastes espagnols les plus influents de la dernière décennie. Après Blancanieves et Abracadabra, il s’attaque au genre de l’animation avec Mon Ami Robot, qui adapte avec brio la bande dessinée Robot Dreams, écrite par l’américaine Sara Varon.
“DOG, vit à Manhattan et la solitude lui pèse. Un jour, il décide de construire un robot et ils deviennent alors les meilleurs amis du monde ! Par une nuit d’été, DOG avec grande tristesse,est obligé d’abandonner ROBOT sur la plage. Se reverront-ils un jour ?”
Naître, c’est recevoir tout un univers en cadeau
Dès les premières minutes, Berger transmet magnifiquement la solitude de Dog à travers ses grands yeux et son imagerie anthropomorphe. Un quotidien monotone où l’on est avachi sur le canapé, on zappe vainement à la recherche d’un programme télévisé à regarder, le tout en mangeant un plat décongelé. Et pour y remédier, quoi de mieux qu’un ami, un partenaire ? Dans une séquence frankensteinesque, Dog va assembler le Robot qui vient de lui être livré. Une amitié est née.
Durant le temps que Robot va passer avec Dog, il n’aura de cesse de l’imiter, et de reproduire l’émotion qui le caractérise désormais : la joie. Heureux d’avoir de la compagnie Dog ouvre les portes du monde à Robot. Tout comme nous, ce dernier est habitée d’une insatiable curiosité. Comme un enfant, tout l’émerveille et le réjouit. Dans des séquences de toute beauté, les deux amis se promènent dans la ville en mangeant des hot-dogs et en admirant les nombreux animaux représentant les divers quartiers et arrondissements de la ville. Le tout accompagné du classique et féérique morceau « September » de Earth, Wind & Fire, qui va devenir un élément central du film, en raison de ses paroles plus que signifiantes.
La palette d’émotions de Robot va changer pour la première fois à la fin de la journée à la plage, quand il réalisera qu’il est coincé. Pour la première fois, il va expérimenter la peur. Et d’un coup, à notre plus grande surprise, ce buddy movie musical va se muer en une tragédie où Dog va tenter à plusieurs reprises de revenir secourir son ami. En vain. La ville de New-York qui nous paraissait chaleureuse, semble désormais se dresser en antagoniste, déterminée à empêcher les retrouvailles du duo. Confronté de nouveau à la solitude, Dog va devoir trouver un sens à sa vie, en partant en voyage, en multipliant les rencontres et les expériences.
Quand Zootoopie rencontre Bojack Horseman
Pablo Berger encadre son histoire dans une esthétique familiale – un style 2D accessible avec des palettes de couleurs apaisantes – afin de mieux surprendre le public par les dures réalités de son conte sur le développement personnel. L’une des plus grandes forces de ce Cheval de Troie artistique est qu’il transcende le langage pour créer une expérience émotionnelle sans paroles. La musique – élément central du récit – vient vernir le tout, se faisant la voix et l’introspection des personnages. De ce fait, il aiguise nos sens, et recentre l’attention du spectateur sur la communication émotionnelle des personnages à travers leurs expressions et leur body language.
Malgré des moments dévastateurs, le film offre une comédie bien dosée qui fait le lien entre de nombreuses séquences douces-amères et en vignettes. Il troque audacieusement le slapstick – qui habituellement va de pair avec l’animation muette – contre un humour mélancolique et ironique semblable à celui d’une bande dessinée de Snoopy. Mon Ami Robot fait preuve d’une tonalité originale et indépendante, rappelant des oeuvres comme Her ou la trilogie Before.
La ville qui ne dort jamais
La direction artistique de José Luis Ágreda crée une atmosphère authentique qui illustre la beauté de New York et les émotions qu’elle suscite, qu’il s’agisse de solitude ou de joie partagée. Chaque plan large ou d’ensemble des extérieurs animés de la ville est assourdissant de réalisme. Ils sont composés de contours fins, comme les planches d’une bande dessinée. Pourtant, le film parvient à saisir tous les coins et recoins naturels de l’arrière-plan au cours d’amples séquences dans des lieux remarquables tels que Central Park.
Le film s’inspire énormément de la culture des années 80 sans pour autant s’y complaire, et en profite pour rendre hommage à des oeuvres qui vont venir parsemer le récit, que ce soit via des clins d’oeil ou des clés qui servent la narration et l’alchimie entre les personnages. Très tôt dans le récit, Dog va présenter à son nouvel ami Le Magicien d’Oz, ce qui donnera lieu à un bel hommage et à un numéro de danse qui ravira les connaisseurs et les amateurs.
Les robots rêvent-ils de moutons électriques ?
Le titre anglophone, Robot Dreams, fait écho aux rêveries qui vont habiter Robot pendant la seconde partie du film. Nous plongeant dans une sorte d’Inception, on remet sans cesse en question ce que nous avons vu dans les scènes précédentes. Un ascenseur émotionnel qui risque d’en dérouter plus d’un, avec un dénouement qui prend à contre-pied nos attentes.
Aussi rafraîchissant que soit le film, il faut avouer que la seconde moitié semble un peu trop étirée pour son propre bien. Certaines séquences oniriques liées au personnage de Robot sont plus longues qu’elles ne le devraient, provoquant un ennui poli. Cela étant dit, en faisant du temps et des rêves les antagonistes du film, Berger nous offre l’une des réalités les plus difficiles de notre vie : que pouvons-nous faire, si ce n’est sans cesse aller de l’avant pour trouver de nouveaux compagnons avec qui partager de nouvelles chansons ?
Poétique, musical et nostalgique, tant dans son cadre que dans sa narration, Mon Ami Robot est une jolie expérience cinématographique, avec une riche réflexion sur l’amitié et l’amour, racontée avec maturité et sincérité. À destination des petits comme des grands, le film fait l’éloge de ceux qui sont partis et célèbre les souvenirs qu’ils ont laissés derrière eux.