Mémoires d’un escargot | Entretien avec Adam Elliot

Long-métrage en stop-motion attendu pendant des années, Mémoires d’un escargot a su nous convaincre par sa patte et ses personnages à l’identité aussi forte que celle de son réalisateur, Adam Elliot.

Entre innovations techniques et narration réussie, Mémoires d’un escargot dénote des productions animées actuelles par sa rugosité et l’intensité émotionnelle qui se dégage de ses personnages. Son réalisateur Adam Elliot a gentiment et longuement accepté de répondre à nos questions.

« À la mort de son père, la vie heureuse de Grace Pudel (Sarah Snook), collectionneuse d’escargots et passionnée de lecture, vole en éclats. Arrachée à son frère jumeau Gilbert (Kodi Smit-McPhee), elle atterrit dans une famille d’accueil à l’autre bout de l’Australie. »

Antoine Jury (CinéVerse) et Adam Elliot entourent Grâce « l’escargot »
CinéVerse : Bonjour Adam Elliot, merci de nous accorder cette interview. On voit que vous avez ramené une des poupées de Grace ?

Adam Elliot : Oui, d’habitude je ne m’embête pas à la ramener, mais là tous les distributeurs me demandaient « mais où est-elle », alors la voilà ! Mais maintenant elle a du vécu, sa jambe s’en va, elle est un peu sale.

Pour commencer, nous nous demandons tous en tant que français : pourquoi avoir choisi « alouette gentille alouette » ?

AE : Oh, et bien, au départ ça devait être autre chose. Ça devait être « You are my sunshine », mais deux raisons ont fait qu’on a dû changer. D’abord c’était un peu trop mignon, presque naïf. Et la deuxième c’est que c’était très dur d’avoir les droits, on aurait dû y mettre beaucoup d’argent ! Alors j’ai pensé « il doit bien y avoir une chanson folklorique française qui colle » et celle-là m’est venue en tête et je me suis demandé « mais de quoi parle cette musique ? », je l’ai traduite et je me suis dit « oh mon dieu ça parle de plumer un oiseau, c’est parfait, c’est sombre, c’est bizarre, c’est totalement ce que Grace et son frère pourraient chanter avec leur père! ». En plus il est français, donc ça aurait forcément été une chanson française. Qui plus est, on n’a même pas eu à payer vu que c’est du domaine public.


« Les français comprennent bien mieux mon cinéma que les australiens » 


Donc l’idée que la chanson soit française est venue après celle que le père le soit ? 

Adam Elliot : Oui, après. Et puis même de toute manière je trouvais la mélodie vraiment très belle. Dans tous les cas, le film aurait eu une connexion avec la France, non pas seulement parce qu’une partie des financements est française. Percy est en partie inspiré par mon père, alors il n’était pas plus français que je ne le suis, mais c’était aussi un artiste, un vaudevilliste, et il est venu sur Paris dans les années soixante et il y a joué. Alors j’ai toujours eu une connexion avec la France, et le tout premier festival de cinéma auquel j’ai participé était le festival d’Annecy.

Ce que j’ai découvert en 1997, l’année où j’ai commencé à faire des films, c’est que les français comprennent bien mieux mon cinéma que les australiens, parce que le cinéma français explore depuis très longtemps des thèmes sombres. Les australiens et les américains ont peur du cinéma sombre, comme ça. Quand je dis sombre, je veux dire plus du côté des émotions, il ont peur de trop de morts, ils n’ont pas envie de penser trop profondément, alors que les français aiment ça, aiment la dualité comédie/tragédie. C’est toujours ça que je cherche, l’équilibre entre la tristesse et le rire.

En parlant d’équilibre, cette question est assez centrale au film. Comme Grace qui empile ses objets, l’ouverture du film est aussi une accumulation d’objets, ce qui va très bien avec la stop-motion. Cette idée de « trop-plein », comment l’avez-vous eu ? 

AE : Ah, oui, cette idée d’ouverture je l’ai eue très vite, parce que je voulais que le spectateur pense « ah, alors ce film parle d’ordre, ça va être dense, suffoquant », je voulais que ça soit très claustrophobe. Et ça devait être de la stop-motion, on voit tout de suite que ce sont des miniatures. Mais c’est aussi un hommage à l’ouverture du Delicatessen de Jean-Pierre Genet, avec qui je suis devenu ami, parce que c’était un des premiers films où en le voyant je me disais « je veux être comme lui ».

Je trouve justement qu’il y a toujours cette balance entre comédie et tragédie presque parfaite dans les films de Genet. Mais oui, cette ouverture c’est le plan le plus long du film, c’est celui qui a coûté le plus cher, on a passé deux semaines dessus. On avait un robot gigantesque avec une petite caméra qui passait au-dessus, une image par une image, c’était tellement compliqué à mettre en place.

Sur cette claustrophobie justement, je ne me suis pas senti accueilli dans le film, on ne s’y sent pas bien à proprement parler, et ça donne justement au film son identité. Est-ce ce que vous décririez comme votre style ?

AE : Oui, mon esthétique est très rugueuse. On utilisait beaucoup ces deux mots « chunky wonky » (gros et bancal). Tout semble un peu imparfait, parce que dans le film voyez-vous, on parle du kinsugi, l’art japonais de réparer avec de l’or. On a gardé cette idée, les personnages sont imparfaits visuellement parce qu’ils le sont aussi dans leur manière d’être. Dans tous les films que je fais, je garde cette idée qu’on devrait arrêter de viser la perfection. Il y a toujours des choses qu’on aimerait avoir ou être, on a tous des défauts qu’on essaye de cacher. Et mes films disent en somme tous, surtout Mary et Max, qu’il faut toujours s’aimer.

On est tous imparfaits, la perfection n’existe pas, le monde va mal. Vous savez quand on vieillit, parfois on regarde ce qu’on a fait, on regarde ses vieux films on se dit « mais pourquoi j’ai fait ça, qu’est-ce qui m’a pris » mais en regardant avec plus de recul on se rend compte qu’il y a toujours quelque chose pour les relier. Et il y a aussi cette idée qu’on refait toujours les même films, pour dire la même chose. Je pense d’ailleurs que mon prochain film sera un road-movie, j’en ai marre de parler de personnages et leur passé, je veux faire quelque chose de plus gros, de différent, plus libre… oui alors pardon j’ai oublié la question ?

Entourant leur père qui fume son cigare, enfoncé dans son fauteuil roulant, Grace et son frère quittent le parc d'attraction qui leur à laissé forte impression.
©Métropole Films
Non non, c’était très bien, mais à propos des imperfections, peut-être avez-vous vu il y a deux ans le Mad God de Phil Tippett, il donnait beaucoup d’importance aux imperfections avec des personnages en laine qui bougeaient inégalement. Vous parlez beaucoup aussi de ces imperfections, est-ce que la stop-motion vient de ça ? 

Adam Elliot : Absolument, quand on voit les empruntes digitales sur la glaise, on sait tout de suite que c’est fait-main. Et la beauté des choses faites à la main, c’est qu’elles sont toutes un peu différentes. C’est cette différence qui les rend attachants. Vous voyez, il y a l’IA qui arrive, qui est déjà là, en fait, et elle ne va pas repartir, mais c’est très synthétique. Ça me fait penser, ma mère fabriquait des paniers, mais vous pouvez tout aussi bien acheter un panier fait par un robot. Celui fait à la main va coûter plus cher et aura sûrement des imperfections, mais il y a du charme, c’est ce qui nous y attache. Et je pense que c’est pour ça que la stop-motion a survécu.

On aurait pu faire ce film en CGI ou en 2D, mais on a voulu le faire comme ça, de manière plus traditionnelle. On m’a déjà dit que je poursuivais la voie d’un art en train de mourir, que la stop-motion allait être complètement remplacée par la CGI. Mais derrière il y a Guillermo Del Torro qui a fait un film en stop-motion, Tim Burton aussi, et apparemment Taika Waititi voudrait aussi. Et c’est parce qu’ils apprécient ce côté « fait-main ». Aussi, j’entends dire que le stop-motion c’est plus lent que la CGI, en fait c’est plus rapide ! Vice-Versa 2 a été en développement pendant des années et des années. Ce film, nous, on l’a animé en trente-deux semaines, ce qui est très rapide. Donc la stop-motion est vivante et va bien mais bon… peut-être aussi que l’IA va juste tout tuer, on ne sait pas.

Pour avoir fait une école d’animation, pourtant, la stop-motion est presque de plus en plus populaire ! 

AE : Ah oui ? Mais vous savez, votre génération a ça aussi, vous avez grandi avec des écrans, des tablettes, et d’un seul coup les DVD et les Blu-Ray sont de nouveau populaires. Et je pense que c’est tout bêtement parce que vous pouvez les tenir dans vos mains, ce qu’on a pas avec Netflix. Je vois même des étudiants retourner à la pellicule, certains même à la cassette ! Mais c’est aussi qu’on vit dans un monde tellement numérisé, j’ai l’impression de voir comme un retour de ce qui est tangible, plus vers de l’analogue et autre.


« Bien que mes films soient pour adultes, ils ramènent quand même à l’enfance. » 


C’est très intéressant ce que vous dites sur la tangibilité des objets, parce que ça s’applique aussi à la stop-motion. Les imperfections, les empruntes, ça donne au spectateur cette impression de pouvoir toucher les objets, ou même de les fabriquer soi-même.

AE : Absolument, c’est une des qualités magiques de la stop-motion : elle vous rappelle aussi votre enfance. Bien que mes films soient pour adultes, ils ramènent quand même à l’enfance. On a envie derrière de ressortir de la pâte à modeler ou de la plastiline. C’est quelque chose d’un peu magique. Il y a une autre dimension que la CGI n’a pas. J’ai l’habitude de dire que je suis plus un magicien qu’un réalisateur, parce que ces films ont le pouvoir de duper le spectateur. Devant, on se dit « je sais que c’est réel, que les poupées existent mais je comprends pas comment ils ont fait le clignement de paupière » alors qu’avec la CGI, on sait bien que c’est fait par ordinateur.

Si votre style est resté le même, est-ce que vous avez innové techniquement pendant ce film ? 

Adam Elliot : Oui bien sûr, déjà avec les yeux comme je vous l’ai dit, qui sont de petits aimants. Avant on devait les fixer avec de la cire, ce qui devenait très vite sale. Donc avec mon superviseur de l’animation on a réfléchi, et on a trouvé cet argile qu’on a mélangé avec de la poudre de fer pour que ça soi métallique. Et derrière la pupille il y a un tout petit aimant. On a aussi inventé de nouveaux bras. Ils sont faits en caoutchouc. La majorité de la poupée est en dur, mais des parties comme les doigts ou la bouche doivent être plus malléables. Donc on pouvait remplacer facilement les bras, qui se connectent facilement avec l’armature, et y mettre aussi une main malléable.

Donc on a trouvé ces techniques différentes de Marie et Max, on a trafiqué l’armature de base pour nos propres besoins. Les caméras qu’on utilise ont une meilleure résolution, on éclaire aux LEDs maintenant, donc il fait beaucoup moins chaud sur le plateau, on utilise différents logiciels aussi. Donc il y a aussi beaucoup de numérique dans le film, même si ça n’altère pas le film.

Mais, ces petits aimants, là, vous deviez en perdre beaucoup non ? 

AE : Oh oui ! En fait dans la majorité du temps, ils finissaient par terre et se collaient aux chaussures de l’équipe, mais on en a fait faire des milliers. Déjà il y avait en tout environ deux cent poupées. Dix copies de Grace, dix Guberts, douze Pinky, donc on avait beaucoup de réserve.

Laissée seule après le départ de son frère, Grace pleure, sous les yeux attentifs de son bonnet en forme d'escargot
©Métropole Films
Et en parlant des personnages, vous travaillez beaucoup sur les binômes. Ici Grace est le personnage principal mais elle partage beaucoup de son importance avec ses différentes relations, pourquoi choisir de ne pas simplement centrer votre film sur un personnage précis ?

Adam Elliot : Je pense que mes courts-métrages étaient tous sur un seul personnage, et sur des hommes en plus. Et je finissais par trouver ça un peu ennuyeux. C’est pour ça que j’ai choisi de faire des duos à partir de Mary et Max. Mais je trouvait intéressant de voir tous ces personnages à travers les yeux de Grace. Maintenant que j’ai cinquante-trois ans, j’ai envie de raconter plus d’histoires féminines. Mon prochain film aura aussi un personnage principal féminin.

Tous mes personnages sont inspirés de gens de mon entourage. Max est inspiré d’un de mes correspondants, j’en ai plein ! J’en ai même au Japon. Il y a quelque chose de très personnel avec le fait d’écrire à la main. Le fait d’écrire à la main se perd un peu, on écrit de plus en plus sur ordinateur, donc j’ai cette forme de nostalgie pour cet art perdu. Bien que ça soit très intéressant, comme on en parlait tout à l’heure, ça revient un peu en force aussi. L’année dernière je n’ai eu qu’une seule carte de Noël, et cette année j’en ai eu cinq !

Vingt-cinq l’année prochaine alors ! 

AE : Espérons (rires) !

– Entretien réalisé par Antoine Jury et Josselin Colnot pour cineverse.fr

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