Maria de Jessica Palud : Danse macabre

Maria Schneider Vartolomei Jessica Palud

Sélectionné au Festival de Cannes 2024 dans la catégorie Cannes Première, Maria est le deuxième long métrage de la réalisatrice française Jessica Palud, spécialisée dans le drame social.

Succédant à Marlon et Revenir, Maria est l’adaptation cinématographique de Tu t’appelais Maria Schneider rédigé par Vanessa Schneider, cousine de l’héroïne. Ce biopic met en exergue la réification des actrices dans le milieu du cinéma. Pour ce faire, Jessica Palud nous plonge dans l’histoire autour du scandale bien connu qui a eu lieu sur le tournage du film Le Dernier tango à Paris en 1972.

“Maria Schneider (Anamaria Vartolomei) n’est plus une enfant et pas encore une adulte lorsqu’elle enflamme la pellicule d’un film sulfureux devenu culte : Le Dernier tango à Paris. Elle accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale…”

Maria et Marlon Brando tournent une scène où leur deux personnages sont en pleines séductions dans une pièce de la maison sans fourniture et aux rideaux fermés.
@ Haut et Court

Tango & Clash

Jessica Palud utilise astucieusement la mise en abyme pour nous présenter les coulisses du Dernier Tango à Paris. Ce film constitue le premier grand tournage de la jeune actrice Maria Schneider. Le spectateur fait alors face à deux caméras. Celle de Bernardo Bertolucci (réalisateur du film, joué par Giuseppe Maggio) qui romantise une relation malsaine entre un homme quadragénaire et une jeune femme de 19 ans. Leur écart d’âge est relativement important et leur rapport de force totalement inégal. Rétrospectivement, on jugerait aujourd’hui la mise en scène de Bertolucci comme un exemple de “male gaze” avec des plans se concentrant avant tout sur le corps de son actrice plutôt que sur ses expressions. Toute action du personnage de Maria Schneider est ainsi déguisée en invitation sexuelle cachée.

Jessica Palud reproduit, au premier abord, ces mêmes effets afin de montrer ce qui s’installe en dehors des scènes jouées. Maria débute dans le milieu et fait preuve d’une confiance naïve. Elle joue face au monstre (sacré, ou non) Marlon Brando (incarné par Matt Dillon), acteur aguerri et reconnu qui est, en apparence, attentif à sa partenaire de scène. Elle nous attache au respect que ces deux comédiens semblent avoir l’un pour l’autre. Le tout au travers d’une certaine mélancolie des années 70, qui s’illustre par les costumes, les décors et le grain de pellicule.

Un miroir brisé

Puis, la caméra de Jessica Palud remplace progressivement celle de Bertolucci. La réalisatrice opère une véritable mise en abyme puisqu’elle a débuté sa carrière sur le tournage d’un film de ce même réalisateur, The Dreamers. Contrairement au livre dont elle s’inspire, Jessica Palud conte la vie de Maria par son propre regard unique. Ceci, afin que le spectateur comprenne le malaise créé par de nombreuses scènes et comportements aberrant ayant eu lieu lors de leur tournage. Elle fait preuve d’un “female gaze” plus sain et plus révélateur. Toute l’évolution que connaîtra Maria au cours de cette biographie racontée découle empiriquement de ce tournage. 

Si au début, Jessica Palud mettait en avant la douceur et l’innocence de sa protagoniste, Maria finira par subir une émancipation forcée. Dans cette transfiguration, Anamaria Vartolomei est aussi extraordinaire que dans L’Evénement de Audrey Diwan. La caméra nous plonge à plusieurs reprises dans son regard fragile et fébrile qui hypnotise le spectateur. Les autres acteurs sont quelque peu éclipsés par son interprétation, même si la ressemblance physique est bien là.

Maria dansant en boite de nuit de façon incontrôlée et libre (sous l'effet de substances)
@ Haut et Court

La femme sorcière

La réalité de cette production rattrape très vite le spectateur et la tristement célèbre scène de viol brouille la limite entre le réel et l’irréel. Celle-ci s’est déroulée sans le consentement de l’actrice. Elle est choquante et insoutenable à l’écran. Ce qui s’oppose à la passivité du réalisateur et de l’acteur qui minimisent l’outrage de la séquence. Maria Schneider en parlera plus tard comme ayant subi un double viol de leur part.

Au cours de ce premier tournage abominable, Maria sera consolée, très rapidement, par quelques gestes et mots de la part d’autres femmes présentes sur le plateau lors de plans gênants. Dès lors, Jessica Palud n’aura de cesse de souligner le manque de soutien de la majorité des hommes dans la lutte de Maria. Son père Daniel Gélin (joué par Yvan Attal) comme ses nombreux partenaires de jeu masculins, ne viendront jamais à sa défense.

Maria Schneider sera aussi facilement jugée pour être à l’aise avec sa sexualité. Le courant de pensée de l’époque, mis en évidence par Palud, est de croire que les hommes peuvent ainsi la traiter comme ils le souhaitent. Éternelle Eve pécheresse, la femme est la coupable parfaite pour les autres. Elle serait responsable des comportements atroces des hommes envers elle. Avec Maria, Jessica Palud dénonce, d’une voix moderne, les nombreux comportements inappropriés ayant lieu dans les coulisses des tournages. Permettant ainsi à des milliers de victimes de se reconnaître, de se soutenir et peut être de pouvoir enfin parler à leur tour.

Maria est un renversement réussi, qui dénonce tout ce que l’industrie du cinéma et la société ont longtemps véhiculé. Le long-métrage, vitrine acerbe des tournages de films d’hier et d’aujourd’hui, donne la parole à celles qui dénoncent et que la société stigmatise constamment.

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