L.A. Noire : Le néo-polar hollywoodien en 4 films emblématiques

Une grande partie de l’histoire du cinéma s’est faite en trois lieux mythiques. Il y a Paris, la ville carte postale ; il y a ensuite New-York, la mégalopole tentaculaire où tout peut arriver ; et il y a enfin Los Angeles.

Los Angeles, la cité d’Hollywood, personnage à part entière des films qui la dépeignent. Et de toutes les œuvres qui ont tenté d’imager l’ambiance si particulière de cette ville, peu l’ont aussi bien réussi que celles qui touchent au genre du film noir. En ce début septembre, la plateforme Mubi programme une série de quatre films néo noirs ayant pour écrin la mythique cité des Anges, que l’on annonce en déclin depuis plusieurs décennies, mais qui trône toujours, fière et insaisissable, comme la reine indisputée du cinéma. Voici notre analyse de cette relation si particulière en partenariat avec Mubi et à travers leur belle programmation avec Heat (Michael Mann, 1995), Lost Highway (David Lynch, 1997), LA Confidential (Curtis Hanson, 1997), et Under the silver lake (David Robert Mitchell, 2018).

L’urbanisation galopante et dérégulée de Los Angeles, un rêve de cinéaste

Du côté de la Californie, qui a signé au XIXème siècle la fin de l’Ouest sauvage, les Américains n’ont longtemps eu d’yeux que pour San Francisco, avec sa construction parfaite, ses ponts légendaires et le havre qu’elle offrait pour les genres musicaux de la communauté noire que sont le jazz et la soul, longtemps ignorés par la culture dominante.

Mais avec la naissance d’Hollywood et la création des Oscars, tout a changé. L’équilibre californien s’est déplacé à Los Angeles, et avec lui une cohorte de communautés qui ont modelé la ville à leur image : à la fois latina, mais aussi huppée, sale, criminelle, riche, mythique, attirante, repoussante, et tant d’autres choses en même temps, la Cité des Anges a connu, au détour de la Grande Dépression, une urbanisation galopante et surtout dérégulée qui a fait d’elle le rêve ultime du cinéaste.

C’est dans cette atmosphère où tout est possible car rien n’est surveillé que s’est développé le film noir. Aux confins de la réalité et du mythe, ce genre a gagné ses lettres de noblesse grâce à des personnages dont on ne sait plus s’ils sont réels ou fantasmés, à l’image de Charles Laughton, Raymond Chandler, James Ellroy, John Huston ou encore Dashiell Hammett.

Après un âge d’or dans les années 1940 et 1950, le genre a fini par tomber en désuétude. Si le Nouvel Hollywood lui a repris dans les années 70 la vision presque surréaliste d’une cité tentaculaire et donc ingérable, c’est véritablement la décennie 1990 qui s’est réemparée du genre.

Heat Los Angeles
© Mubi

Une ville dont on ne s’échappe pas

Chez Michael Mann et son magnum opus Heat, Los Angeles est un tableau propice à toutes les inventions formelles. Au départ, la ville est presque pensée comme une peinture, qui disparaît pour ne plus être qu’un ensemble de lumières interchangeables, permettant au personnage de Robert de Niro un romantisme inattendu avec une femme qu’il lui faudra finalement abandonner. Les dernières croyances en une vie meilleure enterrées, la ville devient le théâtre de folles fusillades filmées dans des quartiers qui deviennent des ensembles géométriques sans âme, aux nuances saturées de gris, comme si toute beauté disparaissait sur l’autel de la violence.

Le dénouement est enfin celui d’un Los Angeles bleuté et nocturne, dans lequel, avec la reprise entêtante de New Dawn Fades des Joy Division par Moby, Al Pacino et Robert de Niro se livrent à une course poursuite désespérée dans une cité où les couleurs laissent place à des traînées floues de bleu, comme là où nous avions l’orangé de To live and die in LA (William Friedkin, 1985), car plus rien n’a de sens quand l’un ne sait plus s’il pourchasse l’autre ou s’il se cherche lui-même.

C’est donc cela, Los Angeles vue par le néo-noir. Une ville fantasmée, de tous les possibles et dont les lieux mythiques (Venice Beach, les allées aux palmiers, Los Angeles River) servent parfois d’écrin, et parfois de prétexte pour que les personnages se laissent engloutir par cette cité qui, si elle ne mange pas les hommes, les habite au point de les hanter comme aucune femme fatale n’a jamais pu le faire.

L’on peut ainsi appliquer à cela ce que disait si justement Vincent (Tom Cruise) à Max (Jamie Foxx) à la fin de Collateral de Michael Mann en 2004 à propos du métro de la ville : « Hey Max. A guy gets on the MTA here L.A. and dies… Think anybody’ll notice ? »

Le Dahlia Noir, une figure tutélaire du crime et de la corruption « à la » Los Angeles

Le 15 janvier 1947, la police de Los Angeles retrouvait le corps d’Elizabeth Short, surnommée par la presse le Dahlia Noir. Ce meurtre jamais élucidé est entré au rang de mythe, le Dahlia Noir devenant un objet de fantasmes sans précédent. Sous la plume de James Ellroy en 1988, le Dahlia Noir est ensuite entré dans la culture populaire.

C’est dans son sillage qu’un film comme LA Confidential a vu le jour. Inspiré de ces crimes qui ont fait la légende de Los Angeles, le long-métrage de Curtis Hanson tentait en 1997 d’invoquer, en l’espace de 2h18, toutes les figures tutélaires de la Cité des Anges, entre la femme fatale, le flic résigné, le politique corrompu et le meurtrier sans âme. Le résultat, comme vous pourrez le (re)voir sur Mubi, est une enquête passionnante où les apparences sont toujours trompeuses au point de ne plus jamais distinguer la vérité.

Dans le film, l’affaire de l’Oiseau de nuit résonne fortement avec celle du Dahlia Noir, rendant la police impuissante de savoir si elle résout un crime ou si elle chasse des fantômes. LA Confidential est ainsi l’héritier de cette légende qui continue d’infuser le genre policier. Nous pouvons aussi dire qu’avec cette œuvre, Curtis Hanson a réussi là où tant d’autres ont échoué, en s’inscrivant dans le sillage si difficile à saisir du Chinatown de Roman Polanski, un autre film où Los Angeles est tout aussi coupable que les politiques corrompus qui la gouvernent.

Los Angeles
© Mubi

Le road movie mental

Les films tournés à Los Angeles, lorsqu’ils s’emparent de la ville comme sujet d’étude, font résonner une cité fantasmée qui remonte à l’urbanisation galopante des années 1940 et à la figure indépassable, car insoluble, du Dahlia Noir. Mais si l’on veut réellement tenter de comprendre la ville, il faut aussi l’aborder sur le plan de la perte des sens qu’elle impose. Arriver à Los Angeles, c’est accepter, presque à l’image du jeu vidéo, une dissonance ludo-narrative propre à la ville. Dans son urbanisme géométrique tout en étant perturbant, Los Angeles brouille les pistes, floute les regards et perturbe les sens, au point parfois de ne plus savoir si nous la parcourons en vrai ou dans un rêve de cinéma.

Et quoi de mieux, pour analyser ce quasi surréalisme, que de se pencher sur l’un des films les plus mystérieux de David Lynch, le maître en la matière. On pourrait parler de Mulholland Drive, qui alterne entre rêve et réalité sur les hauteurs de Los Angeles jusqu’à ne plus rien distinguer. Mais Mubi a préféré, de manière très pertinente, mettre en avant Lost Highway (1997). De l’Homme mystère aux inexplicables VHS, de sa condamnation injustifiée pour meurtre à la course poursuite désespérée dans l’autoroute de nuit, le personnage principal de Lost Highway est aussi perdu que le spectateur. Il voit sa vie s’émietter, impuissant comme nous le sommes face à cette ville qui semble attirer le pire de l’humanité, dans une valse incessante entre crime, corruption et violence.

Dans Lost Highway, même Los Angeles se perd parmi les fantômes qui peuplent l’esprit de Fred Madison, jusqu’à le mener vers une inéluctable fin propre au genre noir.

Los Angeles Lost Highway
© Mubi

Céder à la musique et entrer en transe dans la Cité des Anges

Plus de vingt ans plus tard, David Robert Mitchell s’essayait, en 2018, à faire un film tout aussi étourdissant que Lost Highway. Le résultat, Under the silver lake, cherche tout autant que l’œuvre retorse de David Lynch à être incompris pour mieux marquer le spectateur. Alors que Sam (Andrew Garfield) enquête sur une mystérieuse disparition, il perd progressivement pied en traversant une ville qui l’engloutit, littéralement, pour ensuite le recracher sans vergogne ni explication.

Il est peut-être stéréotypé de dire cela, mais Under the silver lake est ainsi un film important, dans le sens où il tente de faire revivre, ou du moins de maintenir en vie, un genre en perdition depuis le début des années 2000, quand des films comme Collateral ou Les sentiers de la perdition (Sam Mendes, 2002) marquaient une apogée autant qu’un déclin du néo-noir. Et comme une évidence, Under the silver lake culmine dans une scène tout autant étrange que parfaitement alignée sur ce qui fait la particularité de Los Angeles, quand le personnage d’Andrew Garfield découvre que toute l’industrie musicale est en fait une façade cachant une conspiration où les conjurés se transmettent des messages codés pour contrôler les masses à leur insu.

Une parfaite métaphore pour décrire la manière dont l’industrie hollywoodienne fait et défait la culture populaire pour mieux uniformiser toutes les références de nos vies, de l’enfance à la jeunesse, de l’âge adulte à la vieillesse.

© Mubi

Heat. Lost Highway. LA Confidential. Under the Silver Lake. Voici donc 4 grands films, qui tous à leur manière dépeignent une vision fantasmée mais peut-être aussi un peu vraie de Los Angeles, cette cité qui, avec Paris et New-York, est le paradis, le purgatoire et l’enfer de tous les cinéastes.

Une sélection indispensable et à ne pas rater sur Mubi !

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