Avec une lenteur méditative qui pousse à l’introspection, L’Ile aux oiseaux filme les rapaces blessés et les humains rejetés.
Posément atonale et ascétique, L’Ile aux oiseaux du duo Maya Kosa et Sergio da Costa s’inspire très largement de la grammaire de Robert Bresson, cultivant mélancolie et fatalisme pour les habitants des mondes d’en haut et d’en bas. Les aficionados des reportages Ushuaia – ainsi que les fans de super-héros trompés par le titre de cet article – pourraient bayer aux corneilles.
Dans l’Ile aux oiseaux, Antonin (Antonin Ivanidze) est un jeune homme en convalescence, se remettant lentement d’un traumatisme. Pour sa thérapie, il est intégré dans un refuge pour volatiles blessés, cette fameuse ile aux oiseaux qui titre le film. Dans cette infirmerie, il va découvrir des créatures en marge, animales et humaines. Parmi eux, les soigneurs et les vétérinaires (dans leurs propres rôles), bénévoles passionnés paraissant eux-mêmes en voie de disparition. C’est ici qu’il va tâcher de se reconstruire.
L’oiseau et l’enfant
L’ile aux oiseaux est loin de l’imagerie de parc d’attraction du zoo de Beauval qui meuble les programmes télévisuels de l’après-midi. Isolée, à l’écart, cette réserve semble oubliée de tous, comme le serait le dernier refuge avant l’apocalypse. Ici, pas de pandas cromignons ou de facétieux potichats, pas de flatterie facile du pathos. Utiliser des animaux choupinets ou malades pour attendrir le spectateur, ne serait-ce pas le degré zéro de la mise en scène, à la portée du premier venu disposant d’un iPhone ?
Kosa & Da Costa refusent farouchement ce dévoiement et construisent un dispositif tout en langueur, introspectif, constitué de lents plans-séquence aux cadres fixes, d’une rare musique, et d’une économie de moyens quasi monacale. L’allégorie entre oiseaux et humains, ces espèces menacées par le monde moderne, devient particulièrement pertinente. Cette approche « bressonienne » de la réalisation, revendiquée par le duo de metteurs en scène, est inspirante et témoigne d’une volonté de ne pas faire un bête documentaire, mais un authentique objet de cinéma. Les intentions sont bien là, on pourra toutefois déplorer qu’elles ne décollent pas tout à fait.
Tombé pour ailes
Kosa & Da Costa assument l’héritage de Robert Bresson, et indiquent avoir longuement regardé son Journal d’un curé de campagne, chef d’œuvre du genre, narrant la crise de foi d’un prêtre de province face à l’immensité de la détresse du Monde. Leur réalisation emprunte la même narration en voix-off, dévoilant les doutes existentiels du protagoniste principal Antonin, exposés au spectateur par une voix blanche. Si l’idée est bonne, la fragilité du héros faisant écho à celle des rapaces blessés, l’exécution d’Antonin Ivanidze et la direction d’acteurs sont malheureusement aléatoires.
On alterne entre des pensées sublimes – comme ceux du segment de la chouette aveugle – et d’autres bien plus navrantes, comme une chanson aussi fausse qu’improvisée ; entre le Birdy d’Alan Parker pour le meilleur, et le T’aime de Patrick Sébastien pour le pire. Au Hasard Balthazar, toujours de Bresson, savait donner la parole à l’âne Balthazar, héros du film, sans que celui-ci ne dise un seul mot. On pourra regretter que dans L’ile aux oiseaux, la voix-off humaine prenne souvent trop de place, jusqu’à couvrir le chant des oiseaux. L’allégorie devient anthropomorphisme, et là encore, l’Homme, bavard comme une pie, s’accapare la nature et le film.
Angry Birds
Loin de l’image d’Epinal d’une nature édénique, L’ile aux oiseaux développe une intéressante dialectique entre les rapaces d’une part et leurs proies, les rongeurs, d’autre part. Afin de nourrir les oiseaux blessés, les soigneurs du centre élèvent, nourrissent puis tuent souris et rats, futurs aliments des volatiles carnivores. En résulte une réflexion fertile, à la fois scientifique sur la construction de la chaine alimentaire, mais également morale, sur la place de l’Homme dans cette chaine. L’Homme, qui soigne de ses mains dans un plan. Ces mêmes mains qui ôtent la vie d’autres mammifères dans la scène suivante, avec une autorité et une assurance quasi divines, persuadées d’agir avec justesse.
Le film ne juge pas, mais illustre avec acuité ce paradoxe humain. Certes, encore une fois, la mise en scène du duo de réalisateurs n’a pas la virtuosité des chorégraphies manuelles de Robert Bresson dans Pickpocket, mais l’inspiration est nette. On retiendra une grande scène du film, belle idée de mise en scène, qui filme le passage de vie à trépas d’une souris, sous l’œil froid et impavide d’une caméra thermique. En fond sonore, une musique baroque souligne la dramaturgie du moment, cette compassion sonore et funèbre semblant résister à l’impitoyable loi de la nature observée par la science.
Le moyen-métrage de Maya Kosa et Sergio da Costa parait souvent hésiter entre les ambitions artistiques du cinéaste, et la tentation journalistique du réel, entre la fiction et la vérité. Dans ces moments d’entre deux, le documentaire ennuiera probablement le spectateur. C’est paradoxalement, lorsqu’il s’affranchit des conventions, qu’il invente plutôt qu’il ne copie, en somme, lorsqu’il vole de ses propres ailes, que L’ile aux oiseaux devient chouette.
Disponible en SVOD dans le cadre du programme « Animal on est mal », à retrouver sur le Club Shellac
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