Life of Chuck de Mike Flanagan : Un nouvel espoir

Les adaptations des romans de Stephen King ont toujours dansé sur le fil. Qu’en est-il du dernier né, Life of Chuck, tombé entre les mains de Mike Flanagan, un habitué de l’auteur : dégringolade savonneuse ou équilibre parfait ?

A la question « comment raconter l’histoire d’un homme ? », Life of Chuck répond : à rebours. Mike Flanagan reste fidèle à la structure imaginée par Stephen King, remontant le fil de l’existence de Chuck depuis ses derniers instants jusqu’à son enfance. Une vie à contre-courant et détricotée, intimement liée au destin de l’univers tout entier. Avec sensibilité et mélancolie, le film donne corps au vers de Walt Whitman qui l’ouvre – « Je suis vaste, je contiens des multitudes » – et le transforme en mantra face à la crainte de la finitude que tout un chacun connaît.

« La vie extraordinaire d’un homme ordinaire racontée en trois chapitres. Merci Chuck ! »

© Nour Films

Retour vers le futur (antérieur)

Dans une industrie cinématographique marquée par la déflagration de Stranger Things et engluée dans une nostalgie des années 80 devenue tendance, il n’est pas étonnant de voir les adaptations de Stephen King ressortir des tiroirs. Véritable survivant de cet « âge d’or » du divertissement, King demeure l’un des rares auteurs à n’avoir ni perdu sa magie ni son talent de conteur. Rien qu’en cette année 2025, pas moins de cinq projets de son panthéon personnel ont ou vont trouver le chemin du petit et du grand écran. Une route bien connue de Mike Flanagan, du haut de ses déjà deux adaptations à son actif : Jessie (2017) et Docteur Sleep (2019, la « suite » de Shining) – dans l’attente de sa série La Tour Sombre en 2027. En somme,  une filmographie hantée par le maître de l’horreur.

Néanmoins, pour sa dernière adaptation, le cinéaste bouscule les attentes en s’éloignant volontairement de l’horreur traditionnelle pour explorer un texte à la veine plus poétique et profondément humaine. Il signe le portrait d’un homme comme seul King en a le secret. Pas de monstre ici, juste la vie, la mort, les souvenirs et l’espoir. Ainsi, en construisant son récit à rebours, le film débute… par la fin du monde. L’histoire d’une petite bourgade faisant face à la Fin, non pas dans le chaos, mais avec une dignité résolue et bouleversante.

Là où les dystopies nous ont habitués à la violence et au désespoir, Flanagan propose une alternative délicate et apaisante. En à peine trente minutes, le réalisateur nous fait traverser les derniers instants de l’humanité avec une palette d’émotions d’une grande richesse. Sa mise en scène fluide, baignée d’une lumière ocre, enveloppe cette fin inévitable d’une douceur inattendue. Car s’il y a bien un sujet au cœur de Life of Chuck, c’est celui de la finitude – et de l’attente terrifiante qui précède l’inéluctable.

L’étrange histoire de Charles Krantz

Si, comme aimait à le dire Hubert Reeves, nous sommes faits de poussière d’étoiles, alors peut-être portons-nous en nous, chacun, l’histoire de l’univers. Il suffirait dès lors de raconter la vie d’un seul être pour évoquer celle de l’humanité tout entière. A moins qu’il ne soit plus juste de dire que chaque personne abrite en elle un Cosmos à part entière – une recomposition intime de souvenirs, de rencontre et d’émotions, nichée dans les replis de son esprit. Des questions vertigineuses qui suscitent l’intérêt. Et c’est précisément sur ce fil ténu, entre l’infiniment grand et l’infiniment personnel, que danse toute la narration de Life of Chuck.

Tout l’enjeu du film repose donc sur sa capacité à tisser un lien cohérent entre ces deux extrêmes : l’intime et le cosmique (incarner par la dualité entre l’amour de Chuck pour la danse et les mathématiques). Un travail d’orfèvre que Mike Flanagan concrétise malgré quelques travers. Chaque partie du film possède son propre casting, son style visuel distinct (notamment à travers le format d’image) et sa propre ambiance. Le tout maintenu par des réminiscences narratives disséminées avec soin, qui prennent tout leur sens à mesure que l’histoire se déploie.

Si l’on peut alors saluer le travail sur le langage visuel, qui renforce les connexions émotionnelles entre les actes, on peut en revanche regretter l’omniprésence d’une voix off qui vient alourdir la dernière partie d’un film si élégant. Life of Chuck est-il trop fidèle à son matériau d’origine ? Probablement. L’amour évident que Flanagan porte au texte, tout comme le respect filial envers son maître, semblent empreints d’une crainte de trahir ou décevoir. Une retenue qui, par moments, se fait sentir à l’écran.

© Nour Films

Le verre à moitié plein

En renversant le temps, King et Flanagan ne composent pas simplement une énième histoire à contre-sens, mais dessinent une émotion unique. Parce qu’au fond, à bien y réfléchir, nos vies prennent vraiment tout leur sens uniquement quand on les regarde dans leur ensemble, en arrière. Et par ce même procédé, le film nous rappelle qu’il n’est pas très important de s’attarder sur les fins (quitte à nous frustrer). Comme le résume le réalisateur lui-même : « Il faut célébrer ce qu’il y a entre le début et la fin – les liens, les moments, la création. »

Une pensée qui résonne avec les œuvres dont Life of Chuck s’inspire : Vivre de Kurosawa (1952) ou La vie est belle de Capra (1946). Deux films qui, en leur temps, ont su ranimer un peu d’allégresse dans le cœur de leur public, à des périodes où l’horizon semblait privé de toute espérance. Dans cette lignée, Flanagan embrasse une vision du monde sans cynisme ni désespoir, mais profondément humaine et lumineuse. Une célébration de la vie où chacun a son importance et peut influencer sur ce qui l’entoure – et vice-versa.

Un choix « naïf » qui pourrait surprendre à l’heure actuelle. Mais là encore, le choix fait sens et trouve toute sa légitimité. Car si le cinéma a le pouvoir de conditionner notre rapport au monde, il devient plus que jamais important – voire essentiel – de rappeler que des histoires comme celles-ci existent encore. Des récits qui, face à l’adversité et l’individualisme ambiant, célèbrent la solidarité, l’humanité et la beauté de ce qui relie les êtres. Et la danse !

Si nous avons souvent tendance à nous projeter en rongeant notre frein, Life of Chuck nous rappelle qu’il est parfois préférable de freiner pour se retourner en arrière afin d’admirer tout ce qu’on a accompli, et en être fier.

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