Les Tournesols sauvages de Jaime Rosales, ou l’histoire de Julia en trois chapitres, dont l’écriture de son héroïne est délaissée au profit de portraits masculins pluriels. Que penser de ce choix périlleux ?
Les Tournesols sauvages est le septième long métrage de Jaime Rosales. Habitué des thrillers (Las horas del día), des drames (Un tir dans la tête) et des chroniques sociales engagées (La Belle jeunesse), il revient cette fois-ci avec une véritable odyssée sentimentale.
“À Barcelone, Julia, 22 ans, élevant seule ses deux enfants, rêve de liberté et d’émancipation. Comme un tournesol suivant sans relâche la lumière, elle part chercher le soleil sous d’autres horizons. Lorsque le hasard remet sur son chemin deux hommes qu’elle a connus par le passé, la voilà confrontée à des émotions contraires.”
Masculin féminin
Il est maintenant courant de voir des réalisateurs hommes dessiner des portraits complexes et vraisemblables de personnages féminins. La filmographie de Pedro Almodóvar peut en témoigner. Toujours en Espagne, Jonás Trueba s’est fait récemment remarquer pour son très joli portrait de femme émancipée avec Eva en août (2019). Le male-gaze, terme péjoratif désignant l’homme qui filme la femme pour imager ses propres désirs et fantasmes, n’est donc pas inhérent au genre. Mais il guette toujours…
Avec La soledad (2007), Jaime Rosales suivait déjà le drame superposé de deux femmes. Gagnant surprise des Goya (les César espagnol) du meilleur réalisateur et meilleur film, il avait alors eu la justesse de se concentrer sur les personnages féminins et de suivre leurs difficultés quotidiennes. Toujours à la recherche d’expérimentation nouvelle, il refuse de réitérer cette structure pour Les Tournesols sauvages.
Des personnages archétypaux sans relief
Au travers de trois chapitres, nous découvrons la vie de Julia (Anna Castillo), mère célibataire de deux enfants, par le prisme de ses histoires d’amour. En quête de stabilité et d’une figure paternelle, elle est prête à organiser sa vie en fonction de son partenaire. Quitter Barcelone pour Melilla, changer de travail et s’adapter encore et encore en espérant que le soleil brille plus ailleurs. Une question demeure : peut-on filmer l’accomplissement d’une femme uniquement par ses relations amoureuses ?
Trois prénoms masculins scandent ainsi le récit : Oscar (Oriol Pla) dont l’excès de rage finit par exploser, Marcos (Ouim Avila), le militaire défaillant et Alex (Luis Marquès), tristement fade, mais qui a le mérite de lui apporter un équilibre. « L’éducation sentimentale » de Julia est alors bien maigre tant elle est composée de personnages clichés qui amoindrissent la réflexion et limitent « l’apprentissage » que lui auraient apporté ses relations passées. Quant à Julia, nous n’en savons jamais plus sur elle. Quid de ses projets, ses rêves, sa famille, ses amies ? Et les nombreuses ellipses temporelles ne nous aident pas à s’attacher à elle. À peine commençons-nous à la cerner, que des semaines puis des mois passent et un nouvel archétype fait son apparition. Pas de chance.
Ce n’est donc pas avec Les Tournesols sauvages que nous retrouverons un portrait de femme authentique comme Eva en août. Et pour cause, ce projet ne nourrissait pas cette ambition. Dans une citation étonnante, voire carrément réac, Jaime Rosales s’exprime : « A l’heure où la place de la femme et son émancipation occupent une place dominante dans les discours, montrer ce contre-exemple d’une amoureuse qui a toujours besoin d’un homme à ses côtés m’interpellait ». Des millénaires d’histoire illustrent son « contre-exemple » mais les années post #MeToo lui ont suffi pour rétropédaler.