Le réalisateur de La Loi de la Jungle (2016) poursuit sa déconstruction par l’absurde de la société capitaliste française dans Les Rendez-vous du samedi. Il revisite ici avec humour, et non sans malice, la crise des Gilets Jaunes et les aléas du confinement.
« Je m’appelle Pierre Bolex, j’ai bientôt 41 ans. A l’école, lorsque nous étions petits, pour fêter le bicentenaire de la Révolution, on nous avait déguisé en révolutionnaires. Aujourd’hui nous sommes à l’âge adulte… » C’est par la voix de ce curieux narrateur, qui n’est autre que la sienne, qu’Antonin Peretjatko introduit son nouveau moyen-métrage Les Rendez-vous du samedi, dont la sortie suit de quelques mois seulement son précédent long La Pièce Rapportée. Le Français poursuit son exploration loufoque de l’atmosphère politique du pays à travers cet essai filmé, à mi-chemin entre le documentaire et la fiction, qui documente les manifestations organisées par le mouvement des Gilets Jaunes à Paris.
Diplopie de la lutte
Le film dresse, en parallèle des heurts sociaux dont il se fait témoin, le portrait insouciant et mélancolique d’un quarantenaire à travers les figures féminines qu’il fréquente. Usant du principe de diplopie (ou double vision), qui renvoie à la perception simultanée de deux images d’un seul et même objet, Peretjatko fragmente le cadre en deux et nous donne à voir la manière dont petite et grande histoire s’entremêle, comme à travers les verres factices d’une paire de lunettes 3D.
Dans les scènes documentaires, le champ se dédouble voire se multiplie en autant de cadres qui découpent l’action mais font état d’un unique sentiment : la colère. À ces images prises sur le vif, au cœur des manifestations, se superposent des couches fictionnelles, plus légères, qui mettent en scène les entrevues avec les conquêtes de Pierre Bolex. En ces temps troublés, les rendez-vous romantiques du samedi sont devenus des rendez-vous révolutionnaires.
Parallèle trouble
Fait de surimpressions, de superpositions, de collages et de jeux sur le cadre, Les Rendez-vous du samedi intéresse notamment par son audace formelle. Mais malgré l’intérêt documentaire que présente le moyen-métrage – les séquences filmées pendant les manifestations sont saisissantes –, le parallèle entre les rendez-vous du narrateur et ceux des manifestants a de quoi laisser l’auditoire perplexe. On sait l’attrait de Peretjatko pour le corps féminin, motif omniprésent dans son cinéma, mais son utilisation semble ici quelque peu abstraite et maladroite. La légèreté qui caractérise sa filmographie, et fait des merveilles notamment dans La Fille du 14 Juillet (2013), se heurte à l’implacable réalité du conflit social et paraît ainsi radicalement hors de propos.
On ne saura cependant reprocher à Peretjatko de ne pas être assez engagé. Au-delà de la maladresse de son propos, Les Rendez-vous du samedi capte cependant d’une manière saisissante la fougue et la colère qui émanent des hordes de manifestants. Si le récit de Pierre Bolex ne fera peut-être pas date, ce que capte la caméra du cinéaste le fera à coup sûr.
Disponible en salles dès le 1er avril, ainsi qu’en DVD/BR/VOD sur le Club Shellac
Merci Sarah pour cette excellente critique. J’ai découvert le film en fouinant / fouillant patiemment dans l’abonnement “Univers ciné” d’un très connu opérateur coloré (pas de publicité pour les capitalistes). C’est un bijou, mais bien plus explosif que ses films précédents, à l’image des magasins de luxe des Champs-Elysées après les rendez-vous du samedi.