Les Règles de l’Art de Dominique Baumard : Braqueurs à cœur

Les Règles de l’Art de Dominique Baumard dépoussière une affaire rocambolesque qui a secoué le milieu de l’Art : coup de maître ou fausse alerte ?

Les férus d’art connaissent la conclusion de cette affaire, mais en espèrent une différente. Dans Les Règles de l’Art, Baumard revisite avec style le vol des cinq toiles de maître dérobées du Musée d’Art Moderne de Paris en 2010. Plus qu’un simple casse, c’est une entaille dans le cœur battant du patrimoine de l’humanité.

« Yonathan (Melvil Poupaud), expert en montres de luxe au quotidien monotone, voit sa vie basculer lorsqu’il s’associe à Éric, receleur et escroc. Fasciné par le train de vie d’Éric (Sofiane Zermani), Yonathan perd toute mesure. Tout s’accélère quand, pour répondre à une demande d’Eric, Jo (Steve Tientcheu) cambrioleur de génie, vole cinq chefs-d’oeuvre au Musée d’Art Moderne de Paris en 2010. Dès lors, les trois hommes sont entrainés dans une spirale incontrôlable. »

©  Le Pacte

Une plongée au coeur d’un casse historique…

La séquence d’ouverture in medias res nous plonge dans la peau de Jo, « l’homme araignée », escaladeur-cambrioleur habile, un brin naïf et attachant. Les plans jouent avec nos repères, nous faisant perdre la notion du haut et du bas. On glisse de la chaussée parisienne aux toits en ardoise. L’ambiance intrigue, suspendue entre un cambriolage en cours et la sérénité de la nuit. Quelques scènes plus tard, on tombe dans le quotidien routinier et réglé de Yonathan, expert en montres de luxe. On s’identifie de suite à ce Monsieur Tout-le-monde aux rêves trop grands : après tout, il a juste voulu croire en sa chance. Le casse du siècle semble trop ambitieux, mais il est déjà trop tard, on s’attache à ces personnages au destin tragique.

Pas d’Arsène Lupin ou de Professeur façon Casa de Papel dans cette fresque humaine, seulement des hommes à la dérive. Le talent de Baumard réside dans son aisance naturelle à nous faire passer d’une scène à l’autre, à travers une mise en scène soignée et des dialogues ciselés. Toutefois, bien que l’essentiel soit ailleurs, la conclusion laisse un arrière goût d’inachevé, les œufs en neige retombent un peu trop vite !

… qui joue sur tous les tableaux

Jo, Yonathan, Eric. Un trio bancal tragi–comique un peu paumé et profondément touchant. Leur dynamique à la sauce tarantinesque constitue le coeur battant d’un huis clos à la fois étouffant et sensible, au centre duquel plane la peur de les voir échouer. L’humour, loin d’alléger la tension, amplifie le drame.

Baumard nous livre une vision lucide et désenchantée de ce casse historique, restant fidèle à sa signature artistique : proposer une véritable alternative au film du genre en mêlant humour et gravité. Il prend même un malin plaisir à déconstruire la figure de l’homme de main invincible façon Hollywood pour replacer l’humanité au cœur du discours.

Celle–ci surgit dans des situations farfelues et profondément authentiques — comme lorsque Jo énumère sa panoplie de cambrioleur avec la désinvolture d’un homme récitant sa liste de course ou livre cinq tableaux pour le prix d’un à Eric. Ce dernier rétorque avec flegme : « pourquoi faire ? ». Ce sens de la réplique juste et mordante les rend à la fois crédibles et inoubliables.  

L’art remis à hauteur d’homme

L’humour devient un outil de désacralisation qui interroge la place occupée par l’oeuvre d’art dans notre société, en particulier dans la sphère mondaine où elle est un marqueur social. C’est une hygiène de vie, une identité. Baumard redonne à l’Art son humanité, la fait descendre de son piédestal pour la replacer au rang du profane.

La scène du vol des oeuvres au Musée d’Art Moderne en est l’illustration parfaite. Jo, notre voleur, pénètre dans un sanctuaire silencieux. Seul face à ces toiles tant idolâtrées presque vivantes, il les observe avec solennité, se sentant observé et intimidé. Certaines le dérangent : il ne les volera pas. D’autres lui plaisent, il les décroche et les empile sans ménagement au sol. Le musée devient supermarché, le sanctuaire est profané et l’oeuvre d’art n’est plus réservée au fin connaisseur.

Baumard questionne avec finesse la valeur symbolique d’une oeuvre aux yeux de son détenteur et le rapport qu’il entretient avec elle. Ce lien troublant éveille nombre d’émotions. Yonathan passe de la fascination pour La Femme à l’éventail au ressentiment profond et à la colère. Cette évolution affective est à l’image du protagoniste de La Meilleure Offre, dont le destin est étroitement lié à celui de l’oeuvre d’art avec laquelle il entretien un lien intime presque relationnel.

©  Le Pacte

Ingénieux anti-Arsène Lupin, Les Règles de l’Art bouscule les codes sans chercher à séduire tous les publics. Sa lecture désenchantée flirte avec la fable existentielle. 

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