Les Femmes au balcon de Noémie Merlant : De bas étage

Après Mi iubita mon amour, l’actrice, scénariste et réalisatrice Noémie Merlant revient sur le devant de la scène avec Les Femmes au balcon. Un film multiple aux facettes étonnantes.

Un ballet de corps, une ode sororale à ses actrices et amies, ou bien une longue blague potache ? Chacun décidera, pour ce Les Femmes au balcon à la fois aussi évident et attendu. Mais entre ses pointes de grâce et ses lourdeurs, la réalisatrice à beaucoup à nous dire et nous faire dire.

« Trois femmes, Nicole (Sandra Cordreanu), Rubis (Souheila Yacoub) et Élise (Noémie Merlant) , dans un appartement à Marseille en pleine canicule. En face, leur mystérieux voisin (Lucas Bravo), objet de tous les fantasmes. Elles se retrouvent coincées dans une affaire terrifiante et délirante avec comme seule quête, leur liberté.

Au-dessous du ciel bleu de Marseille, les trois amies se penche à la caméra pour nous examiner avec une mine circonspecte.
©TandemFilms

Torses nus et chapeaux bas

Qualifié de « film féminin » à Cannes, applaudi pendant neuf longues minutes dans une énième standing-ovation, Les Femmes au balcon est reparti avec le prix CST de la jeune technicienne du cinéma pour la directrice photo Evgenia Alexandrova. Cet accueil chaleureux semble baliser un chemin glorieux pour le film.

La séquence d’ouverture donne le ton du métrage entier. Marseille, en été, la chaleur et le vent lourd charrient la caméra jusqu’à la fenêtre de Denise qui, lasse de supporter les colères maritales, finit par tuer son mari à coup de pelle. Loin du drame, elle s’en va, sous le choc de son propre courage, annoncer à ses voisines, nos héroïnes, qu’elle aura sûrement du mal à retenir son sourire devant la police.

Cet heureux accident provoqué, Les Femmes au balcon renverse une morale bancale pour mieux la retourner et, quitte à ne pas être juste, au moins poser la question de sa justesse. Ce renversement n’a pas pour mission d’opposer dans un manichéisme essentialisant, l’homme et la femme comme le bien et le mal. C’est un renversement qui laisse une place au questionnement de la justesse de cette « anti-morale ».  Par la suite, le film narre les fantasmes de Nicole qui épie (entre autres) le voisin d’en face. Vient alors se greffer à la fois le plus gros problème et point fort du film : ce renversement.

La femme à la caméra

On trouve dans Les Femmes au balcon une liberté assumée, celle de montrer des corps, des sexes et des fracas amicaux comme sexuels au milieu d’un film d’horreur comique. Mais dans ce mélange inattendu de genres comme dans cette fixation au point de vue féminin, quelle est la place de la liberté et de la question ? Les agressions sont-elles condamnées ou simplement passives pour la caméra ? Si une scène de viol conjugal est montrée aussi fixe et désintéressée que lorsque Nicole se masturbe sur son balcon après avoir épié lascivement son voisin, que nous dit-elle ?

Bien-sûr, le regard porté sur ses agressions est féminin, ce qui renverse déjà l’approche de la mise en scène par rapport aux oeuvres marquées par le regard masculin. La faculté qu’a Noémie Merlant à créer et scinder ces situations fait que son film se termine comme le rebond d’un ballon de rugby : attendu et étonnant.

Balconnerie humaine

Sa photographie almodovarienne dans la saturation de ses couleurs, l’exubérance de ses actrices et leurs interactions qui vont du comique au mal de crâne, en passant par la gêne renforcent l’idée du « trop-plein ». Tout cela met en avant la caricature du renversement qu’opère la réalisatrice pour mieux nous montrer les brefs mais saisissants retours à la réalité. Une manière moins frontale et plus digeste, là où d’autres se sont cassés les dents à satiriser la banalité du mal masculin.

Et si ce qu’à Cannes on qualifiait de « film féminin » n’était en réalité qu’une oeuvre qui s’inscrit parfaitement dans la lignée post-MeToo ? Là où l’on pourrait inclure une misandrie compréhensive mais impulsive voir infantilisante, comme l’a fait Alex Garland dans Men (2022), ici l’accent est clairement mis sur l’échange. À la fois celui de l’information, de la culpabilité comme de la souffrance. Tout le monde est agressé dans Les Femmes au balcon, de manière frontale ou non, physiquement et verbalement, et la différence de traitement de ces dernières, loin d’y apposer un jugement, ne les hiérarchise pas.

Fenêtre sur gore

Ce point de vue à la fois ambivalent et strict est un point fort du film, mais cette vision de la réalisatrice, et sûrement aidé par Céline Sciamma à la réalisation et au scénario, ne fait malheureusement pas tout un film. Le reste du traitement semble avoir pâti d’une volonté auteurisante, faire une fresque à la mode tout en jouant des codes pour, au final, parler d’un sujet sociétal important, ce qui n’est pas réussi dans tous ses aspects.

Dans sa volonté de jouer avec les genres et d’hybrider son film, Noémie Merlant vient bousculer son propre récit de soubresauts horrifiques. Malheureusement, ils sont inégalement réussis. S’il sont efficaces quand ils jouent sur l’attente et l’angoisse, ils s’avèrent clichés et risibles lorsqu’ils décident de concrétiser visuellement des idées, qui auraient été plus intéressantes en hors-champ. Un fantôme n’est jamais aussi terrifiant que quand on ne le voit pas, surtout lorsqu’une fois devant nous, il nous apparaît sous les traits de Luca Bravo. Ce pas de côté sublime les capacités de la metteuse en scène, pour malheureusement mieux nous révéler l’inégalité du film : ces montées en tension retombent tellement à plat par la suite que tout le film s’en retrouve appesanti.

Tout sur ma Merlant

Et, de même, l’entrée de Noémie Merlant en tant qu' »actrice incarnant une actrice dans son propre film » en révèle certaines limites. Le point de focalisation, cette colocation emplie de trois fractions de la réalisatrice, devient le centre de gravité non plus pour le film mais pour… la réalisatrice. Son entrée en scène magistrale, toute en rigueur technique, pour mieux faire ressortir le rouge et le blond de l’actrice déguisée en Marilyn Monroe, rend presque caduque la vraie introduction. Le spectateur comme l’histoire n’a plus d’yeux que pour elle, qui met finalement en branle un récit qui semblait l’attendre.

Ce triple regard que nous offrent les protagonistes s’entremêle sans vraiment s’entrechoquer. L’écriture du film, appuyant bien lourdement leurs styles de vie et leurs caractères différents, ne nous permet jamais de vraiment douter d’une fin unie.

Pourtant d’intéressantes pistes sont posées. Comme celle du manque féminin à travers les pulsions onaniques culpabilisantes de Nicole ; ou du renversement de valeurs morales ; ou de la question de l’essentialisme dans l’approche des agressions. Mais elles ne vont pas plus loin, parfois, qu’une simple blague.

L’on ressort du film non sans déplaisir, mais avec l’arrière-goût d’un brouillon de discours. D’autant plus qu’il s’inscrit dans la continuité MeToo, qui permet de cacher des défauts scénaristiques derrière de vraies bonnes intentions. Mais, à l’inverse de The Substance de Coralie Fargeat, présenté à la même cérémonie, ici les élans de mise en scène de montage semblent plus être un apparat plaisants pour les yeux, qu’une vraie réflexion sur le lien entre le genre de son film et le thème traité.

Devant l'horreur d'une scène de crime, les trois amie ont leur réaction propres. Élise crie, Ruby fulmine, tandis que Nicole tente de contenir les deux.
©TandemFilms

Les Femmes au balcon n’est pas un film simple, en tous cas moins que ses blagues régressives le laissent penser. Mais c’est aussi un film qui ne voit pas plus loin que le bout de son nez. Un rendez-vous estival qui réchauffe à l’approche de Noël, mais qui reste majoritairement bien tiède.

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