Rebecca Zlotowski, avec ce Les Enfants des autres très personnel, va vous faire aimer votre belle-mère.
Longtemps, le cinéma s’est entêté à dépeindre des figures de belles-mères tyranniques et au comportement cruel, guidées par la seule détestation de l’enfant de leur conjoint. Disney s’en est donné à cœur joie, des décennies durant. Si ce phénomène scénaristique s’est autant répandu dans la culture populaire, difficile d’imaginer qu’il ne fut conditionné par des vérités sociales d’une époque passée : des jeunes filles mariées à des veufs, n’étant pas prête pour endosser le rôle de mère. Rebecca Zlotowski, dans Les Enfants des autres, un récit près personnel, entreprend de confronter cet acquis scénaristique à un autre penchant de notre réalité. Entourée des brillants comédiens que sont Virginie Efira et Roschdy Zem, la cinéaste étale sa rigueur de l’écriture dans cette éclatante bribe de vie.
Rachel a 40 ans, et pas d’enfants. Elle tombe amoureuse d’Ali et s’attache à Leila, sa fille de 4 ans. Elle la borde, la soigne et l’aime comme la sienne. Mais aimer les enfants des autres, c’est un risque à prendre…
Une figure de cinéma atypique
Au détour de centaine de productions cinématographiques, les spectateurs occasionnels ou cinéphiles ont pu découvrir que le cinéma se définit bien souvent par des codes et des stéréotypes récurrents. Et comme évoqué au début de ce papier, la figure de la belle-mère ne resta cantonnée qu’à une fonction : détester l’enfant qui n’est pas le sien. Sur ce postulat, Rebecca Zlotowski se lance à la poursuite de son récit autobiographique pour raconter des histoires de femmes que le cinéma n’a, encore, jamais éclairées. Les Enfants des autres s’intéresse dans un premier temps à nous présenter un type de personnages que le spectateur connaît peu.
Virginie Efira interprète Rachel, une professeure de 40 ans dont l’amour qu’elle porte à Leila – sa belle-fille – va grandir pour devenir inconditionnel. La caméra de la réalisatrice prend le parti de ne centrer les actions qu’autour de sa protagoniste dans des séquences construites sur un schéma simple : mise en contexte, situation problématique et conséquences pour Rachel. Par ce biais, le film assume – justement – son propos autour de la figure de la belle-mère et de prendre à contrepied les acquis du spectateur.
Une écriture fine
Revenons sur la présence de cette protagoniste. Scénaristiquement, le personnage relève d’une grande intelligence d’écriture. Si le sujet du film est indéniablement le désir de maternité d’une femme à l’aube de la ménopause, le fond qu’il développe autour du concept de « compter pour quelqu’un » s’affiche comme la véritable toile de l’œuvre. Le lien qui se forme entre Rachel et Dylan (son élève) apporte le liant à un film parfois trop haché.
Sur ce point, les séquences les plus émouvantes ne sont paradoxalement pas celle qui unit Rachel à Ali et Leila – pourtant le propos du film. Si le ton et la technique sont justes, ces relations se ressemblent trop au fur et à mesure des séquences et n’évoluent finalement que trop peu avant la rupture scénaristique du film. Avec le personnage de Dylan, la réalisatrice apporte la conclusion parfaite au récit, au détour d’une séquence sublime en émotion et d’une honnêteté pure laissant exprimer tout le talent théâtral de sa comédienne principale.
Une œuvre quasi-littéraire
Passée par la FEMIS et sa section scénario, Rebecca Zlotowski illustre sa rigueur d’écriture par des séquences brillantes au tempo maitrisé. Si la technique ne fait aucune flamboyance, la justesse des dialogues et le rythme dramatique portent l’émotion sur un lit de douceur. L’habilité des interactions entre Rachel (Virginie Efira) et Ali (Roschdy Zem) relève d’une pure compréhension des enjeux d’une famille en recomposition. La place de chaque individu est définie et c’est sur cette fine barrière que l’intrigue repose. Hors de l’intrigue principale, les codes scénaristiques semblent imposer à la réalisatrice la présence de personnages fonctions, aux intérêts questionnables tant leurs apparitions saccadent un récit déjà dense.
Un film féministe ?
Si les clefs de lecture du film viennent puiser dans les expériences personnelles de chacun, difficile de s’accorder sur ce que l’œuvre veut transmettre. Réaliser un film de femme en fait-il une œuvre féministe ?
Les Enfants des autres propose une vision singulière des combats de femmes. Quand des tendances artistiques vont privilégier la représentation de femmes s’épanouissant loin de la maternité, le film prend cela à contrepied. Dans sa construction de personnages, Rachel n’aspire qu’à devenir mère. Par cette quête viscérale, elle construit son émancipation et trouve une forme de bonheur qu’elle semblait avoir abandonné. Parler de récit féministe serait un raccourci sur ce que l’œuvre peut proposer, mais nier l’importance de sa représentation n’entrainerait que mauvaise foi.
Au crépuscule de l’été, les salles de cinéma nous offrent une dernière bouffée de bonheur avant d’aller enfiler nos plaids automnaux. Point de grand spectacle ou de prouesses techniques, juste les bonnes ondes d’un film qui vous caresse pour vous raconter une histoire singulière. Rebecca Zlotowski réussit son pari : mêler le récit autobiographique à une vérité sociétale dont personne n’avait, jusque-là, peint le tableau de cette manière. C’est unique, et il vaut définitivement la peine de se déplacer pour inonder ses yeux de ce cinéma littéraire.
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