Les Belles Créatures de Guðmundur Arnar Guðmundsson : La Fureur de (sur)vivre

Guðmundur Arnar Guðmundsson les belles créatures

Après Heartstone – Un été islandais (2016), Guðmundur Arnar Guðmundsson nous retourne à nouveau le cœur avec Les Belles Créatures, son deuxième long métrage passé par la section Panorama à la Berlinale en 2022.

Il y a quelques semaines, lors de la sortie en salles de Paradise is Burning de la réalisatrice suédoise Mika Gustafson, j’évoquais le talent certain des cinéastes des pays nordiques en matière de coming of age ces dernières années. Avec Les Belles Créatures, l’Islandais Guðmundur Arnar Guðmundsson confirme une nouvelle fois cette vague cinématographique singulière et puissante venue d’Europe du Nord dans son traitement narratif de l’enfance et de l’adolescence.

« Addi (Birgir Dagur Bjarkason), 14 ans, est élevé par sa mère clairvoyante qui perçoit l’avenir dans les rêves. Il prend sous son aile Balli (Áskell Einar Pálmason), un garçon introverti et en marge, victime de harcèlement scolaire. En l’intégrant à sa bande, ces garçons désœuvrés et livrés à eux-mêmes explorent la brutalité et la violence comme seuls moyens d’expressions et d’exister. Alors que les problèmes du groupe s’aggravent, Addi commence à vivre une série de visions oniriques. Ses nouvelles intuitions lui permettront-elles de les guider et de trouver leur propre chemin ? »

© Outplay Films

Anatomie de l’adolescence

En deux longs métrages seulement, le quadra Guðmundur Arnar Guðmundsson s’impose déjà comme un des cinéastes made in Europe du Nord les plus prometteurs. S’inspirant de sa propre jeunesse tumultueuse, le réalisateur déroule des histoires empreintes de cruauté, de déception et de douleur mettant en vedette des enfants à peine entrés dans l’adolescence. On est pourtant loin du misérabilisme et du mélo sans fond, et c’est ce qui fait toute la force de son cinéma, puisque Guðmundur Arnar Guðmundsson s’attèle à la reconstitution la plus sincère et fidèle possible de sa vision du monde de l’enfance. Un monde scindé en deux réalités complexes : celle du bambin, face à celle perçue par l’adulte.

Dans Heartstone – Un été islandais comme dans Les Belles Créatures, le réalisateur tente de capturer le point de vue de l’enfant, peuplé de premières et de grandes émotions, auxquelles les adultes n’ont pas accès et répondent souvent par l’incompréhension. Le réalisateur met crûment en scène l’apprentissage de la vie et déploie progressivement les différentes strates de ses récits. Sous leurs airs de fresques adolescentes léchées, une bipolarité profonde se dessine au gré des séquences. Parfois tendres et doux, Heartstone – Un été islandais et Les Belles Créatures sont aussi anxiogènes, acides et brutaux. La part sombre des deux opus rend leur obscurité d’autant plus grande puisqu’elle se niche dans une mise en scène hypnotique et solaire, parsemée de moments oniriques surprenants.

Deux mondes

Les Belles Créatures s’ouvre sur une séquence onirique où Addi (brillamment campé par Birgir Dagur Bjarkason) confie l’un de ses songes en voix off. Plongé dans une eau cristalline, le personnage évoque sa bande de copains et l’apparition soudaine d’un nuage en forme d’aigle dans le ciel. Cette courte parenthèse enchanteresse est vite mise aux oubliettes avec les séquences suivantes, où l’on découvre le quotidien de l’introverti et marginalisé Balli (Áskell Einar Pálmason), harcelé par des élèves de son école. Cette violence dont est victime Balli atteint son apogée lorsqu’il rencontre Addi et sa bande. Au départ cruels avec lui, Addi, Konni (Viktor Benóný Benediktsson, hypnotique), le plus violent de la bande, et Siggi (Snorri Rafn Frímannsson) se révèlent in fine fraternels et aimants à son égard. Le film n’a de cesse d’osciller entre des instants doux, bouffées d’accalmie narratives, et des scènes, parfois insoutenables, peuplées d’explosions de violence aveugle.

C’est dans ce bras de fer entre brutalité et sensibilité, cette frontière infime entre amour et haine, que l’on trouve toute l’essence du film de Guðmundur Arnar Guðmundsson. Le contraste asphyxiant entre la fraternité qui unit les personnages et leur violence exacerbée accentue la cage dans laquelle les protagonistes sont pris au piège, et leur volonté sans faille d’échapper à leur condition. Tandis que les instants de complicité des garçons sont capturés en caméra à l’épaule, qui semble presque flotter dans des teintes lumineuses et chaudes, les moments où l’animosité refait surface se colorent d’une palette froide. Les plans se resserrent sur les protagonistes et le montage devient saccadé, accélérant le pouls du spectateur.

© Outplay Films

Stand by Us

Cette ambivalence dans la mise en scène va de pair avec celle des quatre garçons. Guðmundur Arnar Guðmundsson n’a pas peur des sujets âpres et, après avoir abordé la tentation du suicide dans Heartstone – Un été islandais, il s’attèle ici au traitement délicat du tournant que ces garçons doivent négocier à l’adolescence, qui passe ici par la violence et des jeux extrêmes les mettant en danger (bastons, suffocations, trip hallucinogène sous champignons). Les quatre personnages ont des personnalités finement travaillées, et Les Belles Créatures sonde continuellement leurs typicités et leurs contradictions. Du meneur de la bande Konni, aka « l’animal », dont les failles apparaissent lentement, à Addi, témoin passif qui va progressivement influencer le cours des évènements, en passant par Balli, victime harcelée qui devient membre à part entière de la bande et se rebiffe.

L’évolution des personnages met également en lumière la masculinité toxique qui gangrène à plusieurs reprises leur amitié. Issus de contextes familiaux compliqués, où les pères sont souvent absents et les mères dépassées, le quatuor évolue dans un monde où frapper est la première option. Pourtant, la frénésie qui habite la bande ne demande qu’à baisser la garde pour s’ouvrir au dialogue et à la tendresse. Et c’est dans l’étirement de sa narration qu’explose toute la sensibilité d’Addi et de ses camarades. La brutalité laisse place à une once de guérison par le biais de l’amitié. Et sous ces âmes bien en peine, on entrevoit dès lors les belles créatures camouflées sous ces quatre garçons sans repères, déballonnés mais conquérants face à ce monde peu accueillant.

Portrait d’une jeunesse aussi belle que terrifiante, Les Belles Créatures foudroie par sa narration épatante et sa mise en scène qui épouse parfaitement l’énergie et la complexité de ses personnages.

 

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