Avec Le Royaume des abysses, Tian Xiaopeng change de ton pour s’adresser à un public plus mature et livre un second film plus abouti techniquement, qui éblouit par sa direction artistique. Suffisant pour devenir un roi de l’animation ?
Après avoir fait ses premières armes avec sa relecture moderne du Voyage en Occident, roman phare du canon chinois, Tian Xiaopeng revient neuf ans plus tard pour proposer un film bien plus impressionnant visuellement, s’offrant même l’audace de révolutionner le cinéma d’animation. Le sens du détail et de la couleur invite à la découverte en salle. Pour autant, Le Royaume des abysses pèche par un manque de confiance envers le spectateur. En le prenant trop souvent par la main, il dévoile sa peur de ne pas être compris.
« Shenxiu, une fillette de 10 ans, est aspirée dans les profondeurs marines durant une croisière familiale. Elle découvre l’univers fantastique des abysses, un monde inconnu peuplé d’incroyables créatures. Dans ce lieu mystérieux émerge le Restaurant des Abysses, dirigé par l’emblématique Capitaine Nanhe. Poursuivis par le Fantôme Rouge, leur route sera semée d’épreuves et de nombreux secrets. Leur odyssée sous-marine ne fait que commencer.«
Plongeons dans la révolution
Le cinéma d’animation est toujours en quête incessante de nouvelles formes artistiques. Mais il est de ces réalisateurs qui ignorent les nouvelles innovations pour renforcer leurs propres styles, ou créer de nouvelles idées suffisamment solides pour en faire des référentiels de qualité. Le Royaume des abysses de Tian Xiaopeng illustre parfaitement cette approche. Un film qui se distingue par sa puissance visuelle, et qui ose s’affranchir du réalisme au profit d’une exploration onirique. Le tout en utilisant les riches croyances et légendes chinoises, et profitant des ambiances similaires aux films de Hayao Miyazaki.
Le Royaume des abysses aspire à montrer des choses, il veut impressionner et exposer le spectateur à un océan de couleurs et de formes. De ce fait, il adopte une cadence frénétique qui se calme uniquement quand la narration l’impose. Tian Xiaopeng compose chaque plan de manière à ce que le spectateur puisse le lire, le comprendre, et surtout le contempler. L’une des plus grandes forces du film est sa capacité à proposer des tableaux en mouvement, où des centaines de choses se passent, sans pour autant noyer le spectateur.
Le Royaume des références ?
C’est à travers de nombreuses inspirations que Tian Xiaopeng enrichit son univers. Comment ne pas évoquer la scène du rêve dans Spellbound de Hitchcock avec Hijinx, la créature que rencontre Shenxiu ? L’atmopshère à la fois chaleureuse et inquiétante du restaurant qui renvoie aux premières minutes du Voyage de Chihiro ? Ou encore l’esthétique de Fantasia des studios Disney ? Ces références sont, par ailleurs, très pertinentes, tant elles reflètent les idées du réalisateur et la manière dont celles-ci peuvent nous permettre de mieux appréhender les personnages. Le film se veut onirique, et le personnage de Shenxiu se retrouve éloigné de ce qu’elle connaît. Rappelez-vous ce sentiment d’urgence et d’étrangeté quand Chihiro voit ses parents se transformer en cochons. Une émotion similaire au premier contact entre Shenxiu et les clients du restaurant. Le tout en doutant constamment de la véracité des événements du film.
Le dernier élément qui suscite l’admiration et ajoute une valeur supplémentaire à l’expérience en salle, c’est la qualité des animations faciales des personnages. Ce choix artistique se révèle assez surprenant lors de la première découverte des émotions qui s’animent sur chaque visage, et il est difficile de comprendre si ce que nous voyons est réel ou animé. Pour autant, après un bref temps d’adaptation, le film dégage quelque chose de réel, touchant directement nos émotions les plus profondes. À la fin du film, l’impression qui persiste est celle d’avoir assisté à une proposition cinématographique singulière. Seule une direction artistique aussi poussée que celle du Royaume des Abysses permet de créer une telle sensation.
Le grand blues
Si le film de Tian Xiaopeng brille par sa direction artistique, il persiste un problème qui pourrait gâcher l’expérience. Durant les 15 dernières minutes de son épilogue, et jusqu’au dernier plan, le film explique méthodiquement tout ce qu’il vient de raconter. Il en vient jusqu’à s’adresser précisément à une catégorie de personnes, dans le cas où eux aussi n’auraient pas compris. Le réalisateur semble ne pas avoir su faire suffisamment confiance en la clarté de son récit, et à la perspicacité de son public.
En réalité, le problème n’est pas tant de revisiter chaque détail du film pour en garantir une compréhension complète. Il réside plutôt dans le choix de s’adresser à un public trop étendu. En cherchant à être accessible tant aux enfants qu’aux adultes, Tian Xiaopeng compromet toute possibilité d’interprétation par soi-même. Il élimine également la subtilité qui avait soigneusement été construite dans Le Royaume des Abysses jusque là. C’est regrettable en présence d’une histoire superbement écrite, capable de nous emporter et de susciter diverses interprétations.
Ces derniers moments empiètent ainsi sur le rythme de la narration, induisant une légère frustration. Pour autant, cela ne touche pas à l’expérience globale que nous propose le long métrage. Le film conserve son aspect émotionnel et saura captiver tout spectateur qui se rendra au cinéma. Si la narration peut laisser un sentiment d’incomplétude, l’ambiance et la direction artistique parviendront à satisfaire et impressionner le public.
Le Royaume des Abysses est une proposition grandiose. Tant par les perspectives qu’il ouvre pour le cinéma d’animation que par le récit qu’il déploie à travers sa direction artistique. Et si Tian Xiaopeng tient clairement quelque chose pour ses futurs longs métrages, il gagnera à être plus précis dans le choix de son public cible, et à faire confiance à l’intelligibilité de sa narration et à la compréhension des spectateurs.