Marco Ferreri termine en 1964, à l’occasion du Festival de Cannes, le film « Le Mari de la femme à barbe », qui connaîtra quelques déboires de production.
Cinéaste italien incontournable du XXème siècle, Marco Ferreri signe avec Le Mari de la femme à barbe une œuvre unique. En s’inspirant vaguement de la vie de Julia Pastrana, il lui vient l’idée d’un récit noir sur la moralité et la condition humaine. Selon lui, seule la jeunesse détient les cartes pour sauver le monde de la haine et de l’individualisme.
Quand Antonio (Ugo Tognazzi) découvre l’existence de Maria (Annie Girardot), une femme touchée d’hypertrichose, il l’épouse afin de l’exhiber dans les foires. Un beau jour un impresario parisien entend parler de leur numéro et leur propose un contrat alléchant. Entre spectacles et vie quotidienne, on suit le couple dans les étapes de leur vie. Moralité et humanité sont questionnées dans ce portrait de l’Europe d’après-guerre.
La folie humaine
Marco Ferreri fonde une partie de sa filmographie sur l’illustration de la cruauté humaine. Ici il dépeint le portrait d’Antonio, un homme sans scrupule qui ne rate pas une occasion de s’enrichir. Après une insistance démesurée, il convainc Maria de jouer le numéro d’une femme-singe, afin d’avoir une meilleure vie. Ferreri illustre par deux séquences la manipulation d’Antonio. L’homme, toujours le sourire aux lèvres, promet de nombreuses choses pour convaincre la jeune femme. Sans lever le ton, Antonio obtient ce qu’il souhaite par des mensonges. Maria se laisse aller aux fantasmes que l’homme lui décrit.
Marco Ferreri joue une carte intéressante en illustrant une vie de couple presque normale. Maria semble heureuse et conquise par son nouveau mari, mais le cadre et la mise en scène nous raconte l’inverse. Le symbolisme des séquences où elle se retrouve en cage, jouant la femme-singe, est criante de révolte chez le réalisateur. Maria se libère du regard des autres, mais se retrouve prise au piège par un homme opportuniste. Ugo Tognazzi se fond à merveille dans ce rôle malhonnête, sautant de séquences en séquences par son flegme singulier.
Ferreri n’hésite pas à montrer que tous les Hommes sont mauvais, Antonio ne faisant pas exception. Des curieux qui viennent observer Maria aux religieuses de l’hospice, tous basent leur morale sur la peur et la haine de ce qui n’est pas conforme. L’horreur intrinsèque à l’homme va même plus loin dans le récit, en témoigne le choc final.
Une triple conclusion
(La suite de la critique contient des informations sur la fin du film)
Particularité amusante, Le Mari de la femme à barbe comporte trois fins différentes, toutes tournées par le réalisateur. Avec cette version restaurée du film, les trois fins nous sont accessibles et témoignent chacune d’un détail crucial du processus de production. La première fin, incluse à la version italienne censurée, se termine sur la mort de Maria et de l’enfant qu’elle venait de mettre au monde. On y voit Antonio effondré face au corps de sa défunte femme, mis en scène comme s’il avait des remords et un profond chagrin. Une fin bien déroutante pour un personnage détestable d’un bout à l’autre du long-métrage.
Dans la deuxième, celle de la version italienne originale voulue par Marco Ferreri, Antonio récupère le corps de sa femme et de son enfant afin de les exposer embaumés, empêchant son petit business de s’effondrer. Une fin qui confirme ainsi le caracatère pleinement détestable du personnage.
La troisième fin, la plus surprenante, est celle prévue pour le public français. En 1964, à l’occasion du Festival de Cannes, le producteur Carlo Ponti contraint Ferreri de changer la conclusion de son film qu’il juge trop sombre. Il propose alors une fin alternative, où Maria accouche sans problème de l’enfant, et perd ses poils par la même occasion. Privée de sa particularité, la famille peine à vivre et se retrouve dans une misère certaine. Antonio est obligé de prendre un travail de docker pour faire vivre les siens. Une fin pas forcément plus joyeuse et optimiste, convenons-en.
Le Mari de la femme à barbe s’inscrit dans la lignée des films d’auteurs, pris en charge par les producteurs. Malgré une fin trop agressive pour son temps, Ferreri réalise une œuvre intéressante dans son propos, mais trop gentille et douce pour ce qu’elle devrait raconter.
En salles dès le 19 janvier, à l’occasion de sa restauration 4k par Tamasa.