Malgré la pertinence du traitement de la radicalisation de la jeunesse musulmane au cinéma, Le Jeune Ahmed peine à convaincre tant la prise de position vis-à-vis de l’islam semble manquer de nuances et d’humanité.
Habitués au traitement du drame social, mais aussi, dans une toute autre mesure, au Festival de Cannes, Jean-Pierre et Luc Dardenne font leur retour sur le grand écran avec Le Jeune Ahmed. Un film qui avait tout pour convaincre tant son propos est en phase avec l’actualité. Le Jeune Ahmed narre une portion de la vie du personnage éponyme, interprété par Idir Ben Addi, un jeune musulman tiraillé entre les principes véhiculés par son imam et les préoccupations inhérentes à sa vie d’adolescent. Les frères Dardenne ont donc décidé d’entreprendre ce difficile exercice qu’est le traitement de la radicalisation de la jeunesse musulmane au cinéma.
Mais entre une durée trop courte qui nuit radicalement au développement du scénario, des acteurs en sous-jeu, une prise de position hasardeuse de la part des réalisateurs et un traitement clinique de ses personnages, le Jeune Ahmed peine clairement à convaincre et va même jusqu’à offusquer tant son message semble difficile à interpréter.
Il n’est pas chose aisée que de parler de la radicalisation au cinéma. Certains de nos réalisateurs s’y sont essayés, à l’instar d’André Téchiné avec son Adieu à la Nuit, ainsi qu’Emmanuel Hamon avec Exfiltrés. Mais qui de plus qualifié pour cette tâche que les spécialistes des drames sociaux ? En effet, les frères Dardenne sont d’autant plus légitimes à prendre possession de ce sujet épineux quand on sait que leur pays d’origine, la Belgique, est un des centres névralgiques du terrorisme.
Seulement voilà, ici la formule ne fonctionne pas. Le but du long-métrage n’est évidemment pas de nous faire éprouver de la sympathie pour ce jeune Ahmed, tant certains de ses propos et de ses actes sont inconcevables. Mais il semblerait que les réalisateurs aient préféré réaliser un genre d’étude sociologique de la radicalisation des jeunes musulmans en Belgique. Non sans être intéressant, ce parti pris imprègne le récit d’une froideur clinique assez désagréable.
En effet, l’émotion n’y est pas. Encore moins dans cette séquence finale d’une naïveté déconcertante, qui va à l’encontre de toute la construction antérieure du personnage d’Ahmed. Cette absence d’émotion, d’un quelconque soupçon d’empathie et d’humanité, est aussi favorisée par un jeu d’acteur bien trop faible, à l’exception d’Idir Ben Addi, qui tire son épingle du jeu tant il insuffle à son personnage une antipathie déconcertante, en osmose avec son écriture. Cependant, il est difficile de repérer le message de Luc et Jean-Pierre Dardenne à travers ce long-métrage, tant l’islam est présenté d’une manière bien trop unilatérale. On ne perçoit aucune demi-mesure dans le traitement de la religion musulmane, si ce n’est avec le personnage de Madame Inès (Myriem Akheddiou), très vite relégué au second plan.
Mais cette inégalité de traitement semble plutôt due à un manque de temps dans le développement du scénario plutôt qu’à une réelle prise de position des deux réalisateurs. On notera tout de même l’utilisation de plans très rapprochés, notamment pour les scènes narrant le quotidien pieux d’Ahmed. Une certaine façon de placer l’humain au centre d’un récit qui pourtant, manque cruellement d’empathie et d’émotion.
Malgré la pertinence de son sujet et sa résonnance dans l’actualité, le dernier film des frères Dardenne ne marquera pas. Souffrant d’un scénario sous-développé (le film dure 1h25), Le Jeune Ahmed aurait très certainement gagné en profondeur si les réalisateurs avaient pris la peine d’accorder plus de temps au traitement des personnages, ainsi qu’au développement du message qu’ils souhaitaient transmettre. Un message dont on aperçoit pourtant une esquisse inachevée à la fin du film.