Fabrice du Welz signe Le Dossier Maldoror, thriller mêlant traque d’un réseau pédocriminel et vaste engrenage politico-judiciaire. Ce tentaculaire réseau d’indices saura-t-il prendre dans sa toile aussi bien ses personnages que le spectateur ?
Dans Le Dossier Maldoror, Fabrice du Welz présente la traque secrète d’un réseau pédocriminel, qui s’entrelace à la trajectoire de Paul Chartier (Anthony Bajon). Ce dernier, nouvellement gendarme, veut échapper à la violence de ses traumatismes d’enfance en s’immergeant dans le milieu judiciaire, où la morale et la justice sont censés primer. S’inspirant librement de la sordide affaire Dutroux, Le Dossier Maldoror multiplie les intrigues, indices et personnages.
« Belgique, 1995. La disparition inquiétante de deux jeunes filles bouleverse la population et déclenche une frénésie médiatique sans précédent. Paul Chartier (Anthony Bajon), jeune gendarme idéaliste, rejoint l’opération secrète « Maldoror » dédiée à la surveillance d’un suspect récidiviste. Confronté aux dysfonctionnements du système policier, il se lance seul dans une chasse à l’homme qui le fera sombrer dans l’obsession. »
A Belgian Horror Story
La tension du Dossier Maldoror ne s’impose ni ne s’explique : elle se vit par la justesse du montage visuel et sonore. Ce glauque, le film ne l’utilise pas comme simple apparat. C’était là le risque de faire un film autour d’un thème aussi macabre que celui de la pédocriminalité ; troquer la réflexion pour satisfaire une forme de curiosité morbide.
C’est le point fort du Dossier Maldoror : sa capacité à instiller l’horreur sans la montrer. Tout se vit et se suggère par une ambiance sombre. L’oreille se plait à relever la multitude de détails sonores dont regorge le film. S’ajoute un étalonnage qui révèle tout son potentiel dans les scènes d’intérieur, où l’ombre et la sous-exposition ne sont plus des obstacles, mais une partie intégrante de l’univers visuel. Le tout se voit couronné par des compositions musicales qui, loin de dicter au spectateur les émotions à ressentir, le plonge d’autant plus dans cette atmosphère sordide.
Fabrice du Welz ne montre pas les victimes, ou quelconque image des crimes. Le réalisateur prend plutôt parti de concentrer son intrigue autour de l’enquête, menée par le jeune Paul Chartier. Le tout s’inscrit dans un contexte de tensions internes à une organisation policière fracturée.
All Cops Are Bajon
Parce que c’est aussi pour ses personnages, et leur développement, qu’on retiendra le film. De prime abord opaques, leurs coutures se dévoilent peu à peu. Ils profitent du brillant travail d’interprétation des acteurs, parmi lesquels Anthony Bajon, dont la juste violence du jeu s’était déjà fait remarquer dans Teddy.
Paul Chartier croit en la justice, et s’engage à la servir pour guérir son adolescent intérieur, élevé dans la violence d’un foyer familial défaillant. A mesure que le film progresse, le spectateur le voit plonger dans l’obsession de la traque. Paradoxalement, en voulant faire justice pour les familles des victimes, il en vient à délaisser la sienne.
Si on apprécie cette écriture du personnage, cousue de fil blanc par-dessus l’enquête elle-même, on sent aussi une certaine boulimie chez Fabrice Du Welz de la complexité. Le scénario se voit inutilement densifié.
Once upon a time in Charleroi
Le Dossier Maldoror place son intrigue dans le milieu des années 90. Le contexte : une guerre froide entre police communale, police judiciaire et gendarmerie nationale. Les trois organismes ne communiquent pas et fonctionnent en rivalité, sans coopération aucune. Une situation qui entrave la progression de l’enquête.
Malheureusement Du Welz s’attache à tout sur-détailler : aussi bien les personnages, que l’intrigue elle-même et l’univers dans lequel elle prend place. Cette approche exhaustive finit par alourdir la narration, que le spectateur s’essouffle à suivre. Lautréamont avait jadis chanté le Mal de son époque par le biais du surréalisme. Une approche formelle similaire aurait pu éloigner les références tutélaires écrasantes que constituent Memories of Murder (Bong Joon Ho, 2003) ou Zodiac (David Fincher, 2007) auxquelles on ne peut s’empêcher de penser. Les deux heures trente de long métrage se révèlent assez indigestes, même pour le plus gourmand des fans de polar.
Le Dossier Maldoror glace le sang, proposant un univers sombre sublimé par les compositions visuelles et sonores, ainsi que par les travaux d’interprétation des acteurs. Mais l’écriture pourtant fine s’alourdit trop souvent, au risque de perdre le spectateur en cours de route.