Deux monstres constituent déjà la filmographie composée de trois longs-métrages de Ludovic et Zoran Boukherma. Dans l’année du requin, le monstre marin succède ainsi au loup-garou Teddy dans cette comédie d’été. Marchant dans les pas de Jacques Tourneur, et accessoirement, de Steven Spielberg, les réalisateurs assument pleinement leurs influences américaines. Cependant, les frères Boukherma parviennent-ils à dépasser le simple pastiche ?
Dans un village balnéaire du sud-ouest de la France, un surfeur disparait. La cause est rapidement découverte : un requin sévit et menace la tranquillité des baigneurs. Maja (Marina Foïs), une policière récemment retraitée, reprend du service pour combattre ce mal qui la rend peu à peu obsessionnelle. Pour cela, elle va pouvoir compter sur l’aide de deux de ses collègues, Blaise (Jean-Pascal Zadi) et Eugénie, ainsi que sur le soutien affectif de son mari Thierry (Kad Merad).
L’Amérique en Nouvelle-Aquitaine
Mettons toute ambiguïté de côté. La critique martèle souvent que les frères Boukherma mettraient en scène les invisibles, ceux que l’on ne voit pas. C’était effectivement le cas dans Teddy, où le héros est marginalisé par son entourage. Mais cette analyse ne tient plus dans L’année du requin. Car les protagonistes décrits ici n’ont pas de véritable consistance sociale ni de connexion à la réalité et si le cinéma français les invisibilise, c’est précisément parce qu’ils n’existent pas. Les quelques rôles secondaires tenus par des amateurs aux accents locaux n’y changeront rien, ce film des frères Boukherma n’a que faire du réel.
Le personnage principal en est la preuve. Maja est une policière récemment retraitée. Autant dire qu’elle porte en elle une grande partie des thèmes clivants d’aujourd’hui. Cependant, elle sera constamment ramenée à son archétype cinématographique, un personnage confronté à un problème qu’il doit surmonter. Poursuivant cela, le film se déroule durant l’été 2021 et les personnages à l’écran évoquent par bribe le Covid-19 ou les masques qui l’accompagnent. Cependant, mis en lumière par une réalisation assurément antinaturaliste, ces quelques morceaux de vie ne parviennent pas à sortir le film d’un pur (et simple ?) spectacle.
Un film jeune ?
Spectaculaire, telle pourrait être résumée L’année du requin. Le cinéma de Spielberg – la comparaison est inévitable – et plus largement de ses compères pratiquant un cinéma de la sensation, n’est jamais très loin. Qu’elle soit dans les lumières artificielles, dans le montage très cut, ou dans la traitement du son, l’influence outre atlantique se ressent. Mais est-ce plus qu’une influence ?
Une nouvelle génération du cinéma français s’assume pleinement dans le cinéma de genre. Si Julia Ducournau en est la tête d’affiche, les frères Boukherma embrassent un héritage et des influences communes. Formellement, L’année du requin s’inscrit complètement dans l’esthétique des grands blockbusters tels que produits aux Etats-Unis depuis une cinquantaine d’années. De plus, les spectateurs français pourront se réjouir d’y trouver quelques touches d’humour et de folklore propre à sa jeunesse.
Un casting hilarant
Tout d’abord, le casting mêle la nouvelle génération avec Jean-Pascal Zadi et Christine Gautier, et la plus ancienne portée par Marina Fois et Kad Mérad. Si ceci ne crée pas de tension scénaristique majeure, on peut tout de même noter la performance comique de Zadi qui réussit en un regard à faire rire toute une salle.
Autre produit d’appel pour la jeunesse, La Kiffance de Naps revient comme une ritournelle dans le film. On pourra certes trouver ce détail anecdotique, mais il y a quelque chose de réjouissant à voir ces réalisateurs, tout juste trentenaires, assumer pleinement leur époque et ses artistes.
Jacques Tourneur (né en Dordogne avant d’émigrer avec son père aux Etats-Unis) sublima le procédé consistant à cantonner le danger au hors-champ ; Spielberg le popularisa ; son retour en France n’est donc que logique. Voici peut-être la limite du film : Si Teddy parvenait à délivrer un certain message sur les oubliés derrière l’horreur du monstre, on retiendra peu de choses de L’année du Requin, si ce n’est une comédie d’été agréable qui éveille nos sens durant 1h30. Serait-ce là l’avenir du film de genre français ?