L’Amour au présent (We live in time) de John Crowley : L’art de chérir l’instant

Charpentier du film dramatique, l’irlandais John Crowley s’attaque, pour la seconde fois, à l’aventure romanesque. Son neuvième long-métrage, L’Amour au présent (We live in time en anglais) a été présenté en avant-première au Festival International du Film à Toronto, où il a bouleversé la critique. Il sort enfin en salles chez nous ce mercredi 1er janvier.

Dix-sept ans après Boy A, le réalisateur retrouve Andrew Garfield, lui aussi infaillible adepte des rôles dramatiques. Il lui associe majestueusement une des étoiles montantes d’Hollywood : Florence Pugh. L’Amour au présent explore la vulnérabilité et la résilience humaine face à la fin prématurée d’une relation amoureuse. Mais apporte-t-il quelque chose de nouveau au genre romantique, ce genre vénéré par ses adeptes mais souvent négligé par les cinéphiles ?

« Une chef prometteur (Florence Pugh) et un jeune divorcé (Andrew Garfield) voient leur vie changée à jamais lorsqu’une rencontre fortuite les réunit, dans une histoire d’amour profondément émouvante qui s’étend sur une décennie. »

Scène où Tobias (Andrew Garfield) et Almut (Florence Pugh) sont dos à dos à travers une porte. Almut et Tobias semblent enchanter de leur rencontre précédente.
@ StudioCanal

Coup de Foudre à Herne Hill

L’Amour au présent utilise, par une révérence remarquable, tous les outils qui l’ancrent dans le genre de la romance dramatique classique. Bien que John Crowley n’emploie pas un style de réalisation sensationnel, l’esthétisme et le minimalisme de ses plans inscrivent le film dans son époque moderne, vivement recherchée dans les romances actuelles. Comme tout bon élève inspiré par ses multiples prédécesseurs (N’oublie Jamais, Eternal Sunshine of the Spotless Mind, Le Secret de Brokeback Mountain, 4 Mariages et un enterrement), L’Amour au présent réunit avec une aisance évidente deux êtres, Tobias (Andrew Garfield) et Almut (Florence Pugh). Entre eux, sous l’effet d’un destin certes quelque peu forcé et irréaliste, naît une alchimie néanmoins indéniable, offrant bien souvent matière à questionnement.

Suivra une représentation presque enviable de moments de vie uniques, découpés entre instants de joie, désaccords émouvants et drames imprévisibles. De plus, le réalisateur y diffuse une essence britannique enivrante grâce à un humour sarcastique et absurde, mais aussi grâce à des interactions et moyens de communications qui leur sont propres. Nick Payne (scénariste et dramaturge) répond même à une tendance contemporaine où ses personnages principaux n’hésitent pas à quitter l’ébullition de la ville et de leurs premières années de vie ensemble pour rejoindre la campagne et son calme, où ils seront amenés à réfléchir plus profondément et peut-être, à mûrir dans leur vie personnelle et de couple. 

Scènes de la vie (non) conjugale

Ainsi, ce besoin d’intégrer une modernité appropriée à L’Amour au présent se reflète essentiellement dans l’approche de la relation entre Tobias et Almut. John Crowley dépeint l’idée de consentement, du sexe protégé, du désir (ou non) de maternité tardive et ses implications. Ce métrage constitue, de ce fait, un véritable terrain de représentation. Il expose son spectateur à la sensibilité masculine et à la notion du mariage retardé. Or si l’union maritale est généralement le point culminant des films de romances, elle ne trouve pas sa place ici. Le propos du film se situe ailleurs. 

De même, le spectre de l’orientation sexuelle d’Almut ne suscite aucune question gênante ou inappropriée. Nick Payne ose même une forme d’auto-critique implicite des codes hétéronormatifs suivis par ses personnages… pour finalement retomber dans le trope habituel, faisant de cette relation hétérosexuelle l’histoire d’amour principale et marquante d’Almut. Dommage.

Mais L’Amour au présent surprend aussi par son traitement de l’évènement dramatique. Par sa réalisation, John Crowley ne cherche pas à provoquer l’apitoiement et les larmoiements. Bien au contraire, il cherche à insuffler, tant à ses personnages qu’à ses acteurs et spectateurs, un sentiment de soutien face aux moments difficiles. 

 Almut et Tobias se promène gaiement dans les rues de Herne Hill (Londres) après avoir fait des courses alimentaires.
@ StudioCanal

Décès et préjugés

Le premier plan concret de L’Amour au présent est une introduction directe au couple formé par les protagonistes. John Crowley fait de l’entité qu’ils constituent le véritable personnage principal de ce métrage, et la sincère victime du drame qui s’abattra imprévisiblement sur eux. La singularité d’Almut et Tobias reste secondaire dans le scénario de Nick Payne. Ce choix a probablement pour intention d’aider le spectateur à mieux saisir l’essence de ces personnes avant et après leur relation marquante. Leur union est essentielle et potentialise leurs pensées, la maturité de leur communication et leur complémentarité évidente. Mais le scénariste reste sincère dans ce qu’il dépeint. Cette histoire d’amour est loin d’être parfaite et connaît son lot de cachotteries et d’oppression. 

Ainsi, cette méthode ingénieuse permet de comprendre leurs choix et comportements à un moment donné. Et c’est ici que repose toute la ficelle métaphysique du film. Afin de renforcer cette idée du cycle continu de la vie, John Crowley déconstruit totalement la linéarité de son récit. À quoi bon respecter le plan usuel et rectiligne des films de romances, lorsque de multiples études philosophiques questionnent l’illusion de la linéarité du temps ? 

Les choses de la vie

De ce fait, John Crowley crée des mouvements récursifs sur un chemin qui semble, a priori, tout tracé. Le réalisateur oppose habilement des scènes tendres et marquantes à leurs conséquences émotionnelles, qui se déroulent dans d’autres scènes. L’intérêt premier étant d’apporter à son audience un contexte indéniable et de susciter une émotion inévitable. Ainsi, quand Almut apprend la récidive malheureuse de son cancer, l’idée de se battre lui paraît moins évidente que lorsqu’elle le découvre pour la première fois. Mais le choix qu’elle effectue ne sera compréhensible pour le spectateur que plus tard dans le film, lorsqu’il sera enfin confronté à cette scène. 

L’Amour au présent (We Live in Time en anglais) n’aura jamais aussi bien célébré son titre qu’en démontrant régulièrement l’importance du moment présent. Pour autant, John Crowley ne gère pas toujours bien le rythme de son film. Ce déroulement non linéaire est trop rapide au début, privant le spectateur de toute attache émotionnelle (pourtant recherchée) et de toute implication dans l’histoire décrite. Si l’intention du réalisateur est louable, le montage n’a pas su parfaitement l’intégrer et la refléter. Par chance, cette construction ne fera pas défaut lors des moments forts en tension. La scène de l’accouchement est une des meilleures du film, tant par son écriture réaliste, son montage incisif que par son interprétation comique. 

Scène de L'Amour au présent. Almut vient d'accoucher et serre avec tendresse son nouveau né dans ses bras, en compagnie de Tobias.
@ StudioCanal

Intimacy Actually

Ainsi, une des réussites majeures de L’Amour au présent réside dans son casting. Andrew Garfield (Tobias) et Florence Pugh (Almut) sont aussi complémentaires que les personnages qu’ils incarnent avec brio.

Andrew Garfield a prouvé à plusieurs reprises son talent. Il excelle autant dans l’expression de l’émotion contrôlée que dans celle de l’émotion explosive. Ici, l’acteur s’est inspiré d’un deuil personnel afin de nourrir sa performance. Son génie repose sur tous les détails, simples mais lourds de sens, qu’il apporte à son interprétation. Cela est aisément perceptible lors de la scène de demande en mariage ou dans l’ultime confrontation entre Almut et Tobias. 

De son côté, Florence Pugh fait preuve d’une interprétation plus physique, gestuelle et intense. L’actrice britannique, nommée aux Oscars en 2020 pour le “Meilleur second rôle” dans Little Women, a d’ailleurs pris la décision de se couper les cheveux afin de personnifier Almut avec plus de justesse et d’envergure. En conséquence, John Crowley filme en direct la tonte des cheveux d’Almut par Tobias, renforçant l’impact de cette scène. Leurs performances subliment non seulement leurs dialogues, qui sont d’une grande justesse émotionnelle, mais aussi l’intimité de leur relation et de leur collaboration.

Nos Étoiles Contraires, version adultes

Avec une histoire aussi profonde, le défi de représenter une intimité sentimentale et physique se pose au réalisateur. Le travail de John Crowley, accompagné de ses acteurs et de leurs coordinateurs d’intimité, est noble à une époque où la jeune génération préfère voir moins de scènes de sexe à l’écran. L’Amour au Présent en fait des moments incontournables, tout en restant représentatifs de l’évolution de la relation entre Almut et Tobias. Et ce, sans qu’ils ne deviennent trop longs ou gênants pour le spectateur. 

Par ailleurs, Nick Payne, scénariste connu pour ses travaux sur À l’heure des souvenirs et La Dernière Lettre de son amant, affirme le soin et la clairvoyance qu’il porte à chacun de ses scénarios. L’Amour au présent respire l’empathie et parvient à faire passer son spectateur, avec une fluidité déconcertante, du rire aux larmes. Nombreux sont les moments de la vie d’Almut et Tobias qui sont suggérés plutôt que montrés. Nick Payne démontre une confiance totale en son public, l’invitant à laisser libre cours à son imagination. Ce processus confère une beauté palpable au film.

Il était temps

Après avoir visionné L’Amour au présent, il paraît naturel de se questionner sur le message que souhaitent transmettre les réalisateurs et scénaristes associés. A l’instar de l’œuvre britannique magnifique que représente Il était temps, L’Amour au présent influe à son spectateur un besoin urgent de vivre et d’apprécier le moment présent. De plus, il remet en question l’idée du temps limité et de ses conséquences évidentes sur le sentiment amoureux.

Avec L’Amour au Présent, John Crowley transmet l’infinie gratitude qui découle des derniers moments de vie à deux d’Almut et Tobias. Ces deux êtres sont réunis à travers le temps, l’espace et les répercussions qu’ils occasionnent sur le moment. Le réalisateur fait passer son propos avec une grande grâce.

Almut souriant à son interlocuteur (Tobias qui est non visible dans le champs) en dégustant une glace.
@ StudioCanal

L’Amour au présent remplit toutes les conditions pour devenir un comfort movie par excellence. La réalisation de John Crowley et l’écriture de Nick Payne, apporteront du réconfort à ceux qui souffrent de la perte d’un proche, tout en cherchant des réponses aux questions métaphysiques qui semblent suspendues dans le temps.

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