L’Abbé Pierre de Frédéric Tellier : Itinéraire d’un croyant révolté

Frédéric Tellier Abbé Pierre

Pourquoi exister, si ce n’est pour dédier sa vie à faire du monde un endroit meilleur. C’est du moins ce que pensait Henri Grouès, dit « l’Abbé Pierre » auquel Frédéric Tellier consacre son nouveau film, un biopic politique saisissant.

Deux ans après son bouleversant Goliath, le réalisateur français s’attaque à l’une des figures emblématiques du vingtième siècle français.

“Né dans une famille bourgeoise, Henri Grouès (Benjamin Lavernhe) a été à la fois résistant, député, défenseur des sans-abris, révolutionnaire et iconoclaste. Pourtant, chaque jour, il a douté de son action. Une vie intime inconnue et à peine crédible. Révolté par la misère, les inégalités et les injustices, Henri Grouès a eu mille vies et mille combats. Il a marqué l’Histoire sous le nom qu’il s’était choisi : l’Abbé Pierre.”

Benjamin Lavernhe est l'abbé Pierre
© SND

David contre Goliath

Dès les premières minutes de l’Abbé Pierre – Une vie de combats, le spectateur est pris de vertige dans une séquence hallucinante. L’introduction se permet un écart temporel pour délivrer un uppercut sensoriel et spirituel intense qui détermine d’entrée de jeu l’identité du long métrage. Loin d’un certain conformisme qu’on attendrait d’un biopic, Frédéric Tellier prend le pari du grand spectacle, de l’émerveillement visuel pour narrer une épopée hors du commun. Au sein de grands enjeux, Tellier tente de recentrer les points de vues à échelle humaine. Le réalisateur le fait dans le but de ne pas perdre de vue l’essentiel de ce qui est raconté à l’écran : un destin exceptionnel, d’un homme qu’on pourrait qualifier de tel. Cette première partie est un pari réussi. Bourdonnante, intranquille, elle contraste avec les autres parties du récit. Bien que plus intimistes, elles n’en demeurent pas moins solennelles.

Ce souffle épique – central dans la première heure du long métrage – ne quittera jamais le film. En particulier lorsqu’il s’agit de mettre en avant les actions humanistes des protagonistes. Que ce soit par des actions d’envergure (comme le fameux appel de 1954, ou la progressive mise en place d’Emmaus) ou par des interventions médiatiques tranchées, le rythme du film s’évertue à transmettre la passion qui émane de son protagoniste. Agité, toujours porté vers l’avant, l’Abbé Pierre ne se contente que de brefs (et précieux) moments de répit. Ce dernier est recherché tout le long du long métrage par Henri Grouès. Et il le trouvera peut-être dans les séquences de spiritualité, impressionnantes et vertigineuses. Des séquences qui emprunteraient presque au teint violâtre de Sur le Chemin de la Rédemption et à la mélancolie que transposait son réalisateur Paul Schrader. 

L’aube de la Justice

Le choix de porter le film sur une telle icône de conviction n’a rien d’anodin aujourd’hui. Le biopic résonne fortement avec la société française actuelle, où l’extrême droite n’a jamais été aussi importante dans l’échiquier politique français. On pensera notamment aux scènes sur les plateaux télévisés. Interrogé à propos des opinions du leader du Front National, il répond : « Jean-Marie Le Pen, je lui ai déjà dit deux fois ta gueule ! » . Ces séquences reconstituent à merveille l’ambivalence d’une personnalité complexe. Celle d’un pacifiste qui était révolutionnaire, et un révolté face à l’indifférence et au mépris. Aussi, le film s’ancre férocement dans la réalité. C’est ce pourquoi Frédéric Tellier a recours régulièrement à un mélange d’images d’archives véritables et de reconstitutions. 

De plus, le choix de Benjamin Lavernhe pour incarner l’Abbé semble largement approprié. Sans tomber dans la copie ou l’imitation arbitraire, le pensionnaire de la Comédie-Française porte le film à bout de bras. Le film fait le choix d’utiliser des maquillages pour vieillir artificiellement le personnage. Si il s’agit d’un choix payant visuellement, le jeu de Lavernhe n’échappe pas quelquefois à la caricature. Toutefois, son implication rattrape malgré tout les quelques fausses notes dans son interprétation. Par ailleurs, le casting est de manière générale très convaincant. A l’image de Michel Vuillermoz – qui avait déjà tourné pour Frédéric Tellier dans l’Affaire SK1 (tout comme Benjamin Lavernhe) – mais surtout d’Emmanuelle Bercot, qui incarne avec beaucoup de présence la camarade de l’Abbé, Lucie Coutaz.

L'abbé pierre Frederic Tellier
© SND

L’Abbé Pierre – Une Vie de Combats divisera probablement au vue de sa forme radicale. Si il n’est pas exempt de quelques maladresses (notamment dans son écriture démonstrative) il s’impose comme un biopic original, intense et spectaculaire. Après Goliath, Frédéric Tellier revient avec un nouveau film politique saisissant.

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