La Vie, en gros de Kristina Dufková : Ma vie de pastèque

Kristina Dufková

La vie, en gros de Kristina Dufková parle de la perception de l’obésite, qui commence dès l’adolescence pour nous marquer à vie.

Deuxième long-métrage de la réalisatrice, s’engouffrant un peu plus encore dans son style, La vie, en gros aborde des thèmes importants pour quiconque s’est déjà retrouvé devant une glace à se demander ce qui ne va plus. Un long-métrage sur le changement où la question de ce qu’est une qualité se pose, tant pour ses personnages que pour le film.

« Ben, 12 ans, entre tout juste dans la puberté et soudain son poids devient un problème, pour lui et pour tout le monde. Les autres enfants le harcèlent, ses parents divorcés ne savent pas quoi faire. Même l’infirmière scolaire s’inquiète pour lui. Ainsi malgré son amour pour la nourriture et son talent naissant en cuisine, Ben décide de prendre des mesures drastiques. Il commence un régime. »

Devant le distributeur de son collège, Ben s'empiffre avant de retourner en cours, sans se soucier du regard des autres.
©Les films du Préau

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C’est un début intéressant que d’ouvrir le film sur une chanson. La musique, élément récurrent du film, laisse aux dialogues un espace de liberté plus large : on ne s’encombre pas d’une réelle trame narrative, l’idée est de poser une idée.

Malheureusement, découvert en VF pour notre part, quelque chose cloche dès le début. La chanson ne colle pas, pas du tout. Elle semble récitée, comme si découverte à l’instant. D’abord intéressant, parce que malhabile et donc parfaitement infantile, ce motif devient dissonant du film quand, systématiquement, ces chansons reviennent sans évoluer, en donnant toujours la même impression d’improvisation.

Elles dénotent des dialogues qui se veulent plus réalistes et, surtout, là où tout se rattache à la cohérence de ses personnages, elle semble en décalage complet quand elle fédère un groupe de collégiens entiers, qui semblent tout d’un coup avoir perdu le goût du harcèlement.

Hokuto de cuisine

Ce curieux revirement est quelque chose qui revient souvent. Le postulat de départ, celui de re-découvrir son corps et celui des autres à l’approche de la puberté n’est ni nouvelle ni spécialement mauvaise, mais elle mérite une attention toute particulière, surtout lorsque le film parle directement aux concerné.es.

Bien qu’imparfait, le début a au moins cette force de ne pas victimiser ses personnages. Mieux que ça, il met en avant leurs imperfections. Les personnages aux visages presque cadavériques, les couleurs désaturées, rappellent presque les visuels du récent Mémoires d’un escargot. Mais ici, l’impression d’irréel physique se rattache très bien avec ce détachement du corps et de sa perception. Les qualités évidentes de mise en scène et d’animation servent très bien la confusion corporelle de ces très jeunes adolescents.

Mais, tout du long de l’histoire, quelque chose change. En plus de Ben, ce qui pour le moment est logique, c’est toute l’approche qui semble basculer. En partant d’une brève scène dans le bureau d’un diététicien, le regard de Ben se fait plus acerbe sur sa condition. Mais on est en droit de se demander où s’arrête celui du personnage et où commence celui de Kristina Dufková. À plusieurs reprises, un sentiment gênant s’immisce : celui que Ben est en trop.

Un problème, vraiment ?

Le personnage s’efface derrière son problème, il devient l’archétype et non plus le pré-adolescent. Ici se posent les limites de la bienveillance du film : quoi qu’il tente de dire, il y aura toujours ce problème de place. L’obésité morbide que développe Ben, dont son père souffre également (pas tant, d’ailleurs !) devient tellement centrale qu’on finit par ne plus parler que du « problème » et comment le résoudre, et non plus du personnage.

Traiter de troubles alimentaires, de harcèlement, d’évolution « en tant que » dans le milieu scolaire (ici en tant que gros), part sûrement d’une bonne intention. Mais le problème du surpoids au cinéma, est souvent sa mise en perspective. Il est soit une toile de fond, soit un problème médical et politique. L’entre-deux n’existe pas, tout comme il y aura toujours cette bascule ou l’on passe de « normal » à « gros ». Il y a toujours un moment dans le film où la graisse est un problème à traiter, et non plus l’un des nombreux facteurs qui complètent un personnage.

Et donc, quand finalement on revient sur Ben, il y a comme un « trop peu », puisque nous ne sommes plus dans le cœur du film. Ses problèmes ne sont plus ceux auxquels nous faisons attention puisque, à l’image de ses parents, nous sommes accoutumés à nous consacrer uniquement sur son poids, qui est en fait devenu le vrai personnage principal.

Dans l'ascenseur pour aller chez le diététicien, Ben est serré devant son père et Sophie, sa nouvelle compagne. La lumière en douche provenant du plafond leur donne des mines maladives.
©Les films du Préau

Avec les bonnes intentions et toutes les qualités visuelles qu’on peut lui prêter, La vie, en gros montre ses forces comme ses faiblesses. À l’instar de Ben, c’est un film qui cherche son équilibre, qu’il ne trouve finalement pas malgré d’évidents efforts.

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