La Ruche de Blerta Basholli : Le miel et les abeilles

La ruche

La Ruche de la réalisatrice kosovare Blerta Basholli prouve d’emblée au monde la justesse de son cinéma.

Coup de tonnerre au Sundance Festival pour son édition 2021 ! Pour la première fois, un film remporte seul les trois prix de la catégorie internationale. Meilleur film, prix de la mise en scène et prix du public. Le sourire aux lèvres et les larmes aux yeux, la réalisatrice kosovare Blerta Basholli apprend que son premier film La Ruche a largement séduit le jury comme le public. Largement inspiré d’une histoire vraie, la cinéaste prouve d’emblée la justesse de son cinéma et sa rigueur d’écriture pour restituer le récit d’une région oubliée.

“Depuis la guerre du Kosovo, le mari de Fahrije a disparu. Pour garder la tête hors de l’eau et pallier les problèmes financiers de sa famille, elle fonde une petite entreprise agricole. Mais dans ce petit village traditionnel, les ambitions de la mère de famille et des autres femmes sont mal perçues. Fahrije s’engage dans une lutte pour faire vivre sa famille et réussir à s’émanciper des mœurs patriarcales des hommes du village.”

La Ruche de Blerta Basholli
© ASC Distribution

La mélancolie de l’image

Premier film et premier tableau accompli pour la réalisatrice Blerta Basholli et son directeur photo Alex Bloom. Le récit pose ses valises dans le Kosovo du début du siècle, dans une ambiance calme et austère. On plonge le spectateur dans le silence du quotidien d’une famille en pleine campagne kosovare. La force de cette ouverture, pourtant si calme, réside dans le rythme que la cinéaste va imposer. Si la première scène – où Fahrije recherche son mari – peut laisser croire que le récit commence, la dynamique se brise quand elle est de retour chez elle. Au travail de la maison, comme à la douche de son beau-père, tout se fait dans un silence glacial ou par de courtes phrases banales. En moins de cinq minutes, la réalisatrice pose le cadre. Nous sommes dans une famille déchirée, accablée par des problèmes au quotidien.

Quand on transmet un sentiment par l’image, on peut s’y prendre de plusieurs manières. Le rythme, le cadre, la mise en scène ou la photographie ne sont que des exemples. Sur ce dernier point, La Ruche adopte un style bien particulier. Les couleurs froides sont choisies pour ancrer le récit dans un ton dur et réaliste. Toute vie devient trop âpre pour être fantasmée, trop froide pour être rêvée. Le spectateur est, malgré lui, traîné de force dans les difficultés que rencontre cette famille. La caméra épaule va, tout le récit, appuyer ce sentiment de compassion à l’égard de notre protagoniste et de sa famille. Et l’audience se plonger dans cet univers, aux couleurs de la mélancolie d’une vie que nous n’avons pas vécue…

Un combat éternel

La vivacité des sentiments envers notre protagoniste se crée d’une manière relativement classique : elle est seule contre tous. Blerta Basholli fait du sujet de son film un outil de représentation universelle. Elle illustre sans artifice ce que le patriarcat produit de plus courant et de plus banalisé. On nous présente le regard masculin comme un frein aux ambitions et aux projets nécessaires à la simple survie d’une famille. Magnifiquement interprété par Yllka Gashi, le personnage de Fahrije lutte pour monter sa petite affaire artisanale et pour obtenir son permis de conduire. Les nombreux gros plans pris de trois-quarts insistent et mettent en lumière des jeux de regards d’une grande intensité. Déterminée, Fahrije ne se laisse jamais abattre. S’il est difficile d’imaginer les pensées qui vagabondent dans son esprit tout au long du film, on ressent un amour total de la cinéaste pour son personnage.

Le poids du deuil

L’une des forces de La Ruche réside également dans le poids de l’ombre du mari disparu, qui hante la famille. Fahrije, bien que profondément marquée par cette disparition, est la première à tenter de s’en affranchir. La justesse du propos couplée aux interactions entre les personnages crée un déchirement émotionnel palpable, qui nous accompagne tout au long du film.

Cette réflexion sur le deuil et le pragmatisme reflète avec assez de poigne et d’honnêteté le cinéma que sa réalisatrice souhaite proposer. Un aspect intéressant qu’il sera bon d’observer dans la suite de sa carrière.

La Ruche de Blerta Basholli
© ASC Distribution

La Ruche, dans sa démarche quasi journalistique, s’impose comme un premier film d’une belle technique. Malgré une courte durée – 1h23 seulement -, qui pourrait cependant en lasser certains par son rythme, la proposition ne démérite pas. Elle met en lumière les dérives et les questionnements d’une société meurtrie par la guerre et ses conséquences. Non sans subtilité, c’est un sous-texte plus moderne qui se glisse dans le récit, et révèle des comportements et des mentalités qui ne devraient pas avoir lieu d’être. Mais qui n’auront de cesse de détruire des avenirs et des vies.

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