La Réparation de Régis Wargnier : Une affaire de goût

La réparation régis Wargnier

Régis Wargnier fait son retour au cinéma après 10 ans d’absence, période durant laquelle il était occupé sur le front du débat public, notamment sur la crise climatique, l’écriture de livres. Avec La Réparation, il prend pour sujet… la disparition d’un proche, tirée d’une histoire aussi vraie que personnelle.

Si La Réparation est bien un film qui fleure bon la gastronomie, son sujet déborde largement des murs de la cuisine. Régis Wargnier signe son grand retour (une décennie après Le Temps des aveux) et renouvelle ses recettes formelles dans une fusion des genres – film de cuisine, romanesque aux allures de thriller – qui nous transporte de la Bretagne à Taïwan. Un menu initiatique alléchant sur la résilience, le pardon et l’omniprésence des absents.

« Le jour de l’attribution des étoiles Michelin, le célèbre chef Paskal Jankowski (Clovis Cornillac) et son second, Antoine (Julien De Saint-Jean), disparaissent au cours d’une partie de chasse en forêt. Clara (Julia de Nunez) la fille de Paskal, vit un amour secret avec Antoine. A 20 ans, elle se retrouve seule aux commandes du restaurant. Deux ans plus tard, Clara reçoit un message du bout du monde, qui lui redonne espoir. Elle se lance sur cette piste, à la découverte de la vérité. »

La réparation régis Wargnier
(c) Nour Films

Je suis le seigneur du relais château

Romanesque. Voici un mot, presque désuet dans le cinéma contemporain, qui peut qualifier chaque film de Régis Wargnier. Le réalisateur mosellan, biberonné aux mélodrames dès ses 10 ans et oscarisé pour Indochine en 1993, n’a jamais cessé de filmer l’envol des sentiments, en tous lieux et tous temps. Si La Réparation a un titre bien moins lyrique que les précédents projets du cinéaste, sonnant moins « Pars vite et reviens tard » et davantage « Va donc chez Speedy », il ne fait pourtant pas exception.

Dès la première séquence, Wargnier brouille la spatialité et la temporalité. Si vous attendez une introduction à la sauce The Bear, dans une cuisine rutilante lors d’un coup de feu intense, vous n’êtes pas à la bonne adresse. La scène d’introduction est en costumes du XIXe. Une jeune femme en robe de bal, l’air effrayé, s’enfuit dans les bois sous un mouvement de grue dévoilant en plongée sa course haletante. Il introduit le personnage principal, la jeune Clara, incarné par une Julia de Nunez (ex Brigitte Bardot dans la série éponyme) portant remarquablement le film. La photographie envoûtante de Renaud Chassaing (Goliath, L’Astronaute…) s’illustre également par ses douces lumières, ses couleurs tendrement pastel et la définition toujours spectaculaire de l’ARRI Alexa 35. C’est superbe, du début à la fin, d’Est en Ouest.

Papaouté

Fondamentalement, nous retrouvons bien là le plat-signature de Wargnier. Comme Catherine Deneuve (Indochine), Emmanuelle Béart (Une Femme française) et Sandrine Bonnaire (Est-Ouest) auparavant, Julia de Nunez incarne une femme courage face aux tumultes du monde. Prenant sa source dans les déchirements du cœur entre deux pays et deux hommes, son périple culinaire va l’amener de la Bretagne à Taïwan, bravant les défis du bilan carbone autant que ceux de la polysémie. Sa quête du sens (« Pourquoi Papa a disparu » – déjà abordé dans La Femme de ma vie) se mêle à la quête des sens : en remontant les origines de la cuisine-fusion de son père jusqu’en Asie, Clara espère comprendre le mystère de sa disparition.

La Réparation revêt bien vite les pourtours d’un trompe-l’œil, brassant les gastronomies et les genres cinématographiques. Tranchant avec le classicisme qui a fait son succès, Wargnier agrémente son romanesque d’un film de cuisine. L’évocation des plats, leur dissection par les mots et l’objectif de la caméra, sont une réussite esthétique complète. Mais comme si ça ne suffisait pas, le réalisateur ajoute aussi une pincée de thriller. Gare à l’indigestion formelle ! L’idée de ce jeu de piste pour papilles est pourtant stimulante. Tout du moins au départ. Car dans l’exécution, Wargnier n’est pas Fincher et La Réparation n’est pas The Game : toute l’enquête se déroule sur le rythme d’un paleron de dix heures, et sitôt son twist dévoilé (au tiers du film), elle retombe comme un soufflé.

La réparation régis Wargnier
(c) Nour Films

La Séparation

Décevant ? Pas forcément, car à la frénésie des rebondissements, Wargnier préfère l’évolution lente des sentiments qui mijotent dans l’arrière-cuisine. Si Indochine raconte le processus de séparation des hommes et des Nations à travers les personnages de Catherine Deneuve et Linh-Dan Pham, La Réparation illustre plutôt la reconstruction post-rupture. Comment réparer le passé de ses fautes ? Loin du tumulte, cette réhabilitation se fait par le biais de la cuisine et le mélange des saveurs d’Orient et d’Occident. Un mélange culinaire vu davantage comme un partage culturel, plutôt quune appropriation.

La cuisine abolit les frontières, et autour des fourneaux, Wargnier parvient à transgresser la géographie. Rien ne ressemble plus à une cuisine de restaurant qu’une autre cuisine de restaurant, et au travers de ce resto-monde, la quête personnelle de Clara touche à un universel, débarrassé de ses contingences spatiales. Alors que le montage du film achève de briser la temporalité et la topographie, son héroïne devient quelque peu mystique à l’approche de la coda. La Réparation prend alors des arômes de film de fantômes, à l’humeur quasiment métaphysique.

Derrière l’apparente quête d’une personne disparue, Wargnier dévoile une réflexion entêtante sur le deuil de la séparation – et ce qui lui survit. « Le silence, c’est laisser une porte ouverte » martèle-t-il par la bouche de ses personnages. Ne pas poser de mots sur la disparition, c’est rendre les retrouvailles possibles. Ne pas poser de mots, c’est maintenir l’espoir d’un retour. Clovis Cornillac n’est à ce propos jamais aussi bon que lorsqu’il ne dit rien, et l’ombre de son personnage semble hanter chaque scène et chaque saveur. Au fond de son silence semble demeurer ici-bas, comme une omniprésence. On reste sur sa fin, volontairement ouverte.

Longtemps lui-même disparu du grand écran, Régis Wargnier signe son retour de manière convaincante, rompant son romanesque classique par un renouvellement formel stimulant pour les sens.

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