Récit quasi-mystique et quasi-mutique, La Montagne est un bel exemple d’alliage entre le fond et la forme. Un film où le regard de la caméra, humble et fasciné, épouse celui de son protagoniste, pris dans une attraction qui le dépasse
Pierre, ingénieur parisien, se rend dans les Alpes pour son travail. Irrésistiblement attiré par les montagnes, il s’installe un bivouac en altitude et décide de ne plus redescendre. Là-haut, il fait la rencontre de Léa et découvre de mystérieuses lueurs.
Le Sommet des Dieux
« La Montagne », de Thomas Salvador. Rarement film aura aussi bien ressemblé à son titre. Monolithique, taiseux, difficile de savoir par quel versant l’aborder. Il démarre comme un récit de spleen citadin ; mais ce postulat en restera un et de ce spleen, rien ne sera montré. Ainsi, La Montagne n’est donc pas filmée comme un refuge. Ce n’est pas pour le personnage de Pierre un moyen de se ressourcer, loin du tumulte de la capitale. Elle n’est pas non plus un challenge sportif, une frise de sommets à gravir, et l’imagerie du documentaire sportif nous sera épargné. Tout au plus elle apparaît comme une retraite, un ermitage, un retour à la Source.
Filmée comme un mystère impénétrable, comme un secret dont nous serions exclus, l’attirance irrésistible de Pierre pour la Montagne oscille entre le coup de foudre amoureux et l’appel mystique. Entre une fascination scientifique, expérimentale, expédition solitaire quasiment “julesvernienne“, et une attraction fusionnelle, gravitationnelle. Comme s’il était de la destinée de Pierre que de revenir à la Montagne. Le filmage solennel, presque révérencieux, rapproche La Montagne des forêts miyazakiennes, Nature dominatrice et indifférente. Il rapproche aussi le film – comme le précédent, Vincent n’a pas d’écailles, de l’oeuvre de M. Night Shyamalan, capable de faire tenir dans un cadre austère et ancré des évènements extraordinaires qui réclament généralement plus de faste et de mouvement.
« Pourtant, que la Montagne est belle »
La mise en scène, rocailleuse, n’oublie pas de faire de la Montagne un spectacle, et la passion de Thomas Salvador pour son décor transpire de ses images. Ces dernières alternent panoramas à couper le souffle et le spectacle plus quotidien d’une tente que l’on plante ou de la vaisselle qui doit quand même se faire même à 4000m d’altitude.
Il y a dans ce regard distancié une marque d’humilité. Celle de l’alpiniste face à un sommet, celle du mortel face à l’éternel. Regard qui devient solastalgie quand il évoque, au détour d’un panneau bornant la fonte des glaciers ou les éboulements qui se multiplient, le réchauffement climatique et les plaies de pierre qu’il inflige aux paysages alpestres.
La fusion entre l’acteur/réalisateur et son personnage est totale, et la Montagne est filmée par Thomas comme elle est vécue par Pierre, que les choses humaines indiffèrent de plus en plus : Tout ce qui l’en sépare est superflu, condamné au hors-champ.