La Légende d’Ochi d’Isaiah Saxon : Ochi, Téléphone, Maison

La légende d'ochi cineverse

Projeté au Festival du Film de Sundance en janvier dernier, que vaut La Légende d’Ochi, dernier né des studios A24 signé Isaiah Saxon ?

Si Isaiah Saxon ne vous dit probablement rien, son travail s’est par contre sans doute frayé un chemin dans vos suggestions musicales sur Youtube. En effet, il a réalisé de nombreux clips, pour Björk, Panda Bear, Dirty Projectors ou encore Grizzly Bear, qui explorent pour la plupart le lien entre les humains et la nature. Pas étonnant donc que le premier long métrage d’Isaiah Saxon reprenne ce motif cher au réalisateur américain. Boosté par son étiquette de « production A24 », son casting haut en couleurs et sa bande-annonce alléchante, La Légende d’Ochi a de bonnes cartes en main pour attirer les foules lors de sa sortie en salles. Le risque étant toujours que cette aventure fantastique fasse finalement l’effet d’un trompe-l’œil déceptif, limité à ses beaux atours, après visionnage. Conquise or not conquise, that is the question à laquelle je tente de répondre ci-dessous.

« Dans un village isolé des Carpates, Yuri (Helena Zengel), une jeune fille élevée dans la crainte des mystérieuses créatures de la forêt appelées Ochis, se voit interdite de sortie après la tombée de la nuit. Un jour, elle découvre un bébé Ochi abandonné par sa meute. Déterminée à le ramener auprès des siens, Yuri va défier les interdits et s’engage dans une aventure extraordinaire au cœur des secrets de la forêt. »

© KMBO

Once Upon A Time in les Carpates

La Légende d’Ochi s’ouvre avec un superbe plan d’aube sur des îles surplombant la mer Noire. Mer dans laquelle ruissellent les eaux des Carpates, partie orientale de l’ensemble montagneux situé au centre de l’Europe peuplée d’ours, de loups, de contes et de légendes. C’est dans cet environnement sauvage, hostile et boursoufflé de « on dit » que prend place l’intrigue. La voix off posée de Yuri, notre jeune héroïne à la chevelure aussi dorée que sa doudoune jaune, nous fait rapidement basculer dans le conte fantastique à l’évocation de ses terres, et des créatures effrayantes qui les foulent. A travers les dires et convictions de son père Maxim (Willem Dafoe, en pleine forme), Yuri s’est forgée une image biaisée du monde qui l’entoure, des bêtes qui arpentent les forêts et de sa mère Dasha (ensorcelante Emily Watson), disparue du jour au lendemain.

Angoissée par son environnement, Yuri passe le plus clair de son temps à tenter de protéger le village des attaques des Ochis, bestioles nocturnes portées sur la chair fraîche. Elle rejoint la brigade dirigée par son paternel, composée d’enfants paumés dont les parents ne savent plus quoi faire. Parmi eux se trouve Petro (Finn Wolfhard), orphelin recueilli par Maxim. Ce dernier voit le garçon comme une compensation bienvenue, n’ayant jusqu’alors qu’une fille pour rejeton. Monstres tapis dans l’ombre, forêts brumeuses, père autoritaire et froid, mère absente aux allures de sorcière, jeune fille naïve et flippée, bambins abandonnés… La Légende d’Ochi regorge de personnages dignes de contes et opte pour une trame narrative vue et revue : celle de l’enfant aux yeux voilés par les mensonges des adultes qui va progressivement découvrir, comprendre et s’ouvrir au monde.

Un Voyage (in)attendu

Alors non, La Légende d’Ochi ne brille pas par l’originalité de son scénario. Et malgré quelques bonnes trouvailles, comme la communication inter-espèce, le récit défile aussi limpidement que les eaux de la rivière Prout. Empreint de fantastique, et de quelques sauts dans l’horreur (à portée d’enfant, rassurez-vous), le film déploie ses arcs narratifs rapidement et sans fioritures, dresse le portrait un poil caricatural de ses protagonistes principaux, avant de laisser toute la place à l’aventure : ramener le petit Ochi parmi les siens. Pourtant, s’il fait de ses personnages des figures attendues du genre, dans un cadre spatial de surcroît tout choisi, Isaiah Saxon et son œil forgé par les clips savent maintenir l’intérêt de notre rétine.

Tourné en Roumanie, et notamment dans la région de Transylvanie, dans les monts Apuseni, La Légende d’Ochi a pour lui une photographie dépaysante aux couleurs saturées. De la doudoune jaune de Yuri aux paysages pris par la brume, en passant par des plans punchy dans une supérette, Isaiah Saxon et son chef opérateur Evan Prosofsky nous en mettent plein les mirettes. Par sa mise en scène léchée et colorée, La Légende d’Ochi nous fait ressentir le frimas vibrant des montagnes comme sentir l’odeur des pétoulettes de moutons. La poésie folklorique qui se dégage de ces images d’Épinal roumaines se met à l’unisson du récit qui nous est conté, jouant classiquement mais habilement avec les contes populaires locaux.

© A24

Nostalgie jolie

Une mise en scène plaisante ne suffit pas à combler un scénario bien dans les clous me direz-vous. Pourtant, La Légende d’Ochi m’a pleinement embarqué, malgré quelques séquences qui font pouffer. Isaiah Saxon prouve qu’il est un faiseur d’images et d’univers intéressant, mais surtout un formidable vecteur de nostalgie. Alors que la quête de Yuri pour ramener le bébé Ochi à sa famille nous rappelle celle d’Elliot dans E.T., l’extra-terrestre (1982) de Steven Spielberg, le réalisateur s’amuse avec la colorimétrie et certains grands classiques du cinéma américain. Tour à tour, des films cultes traversent en étoile filante La Légende d’Ochi. Tandis que la bande d’enfants nous remémore celle de Peter Pan, une traversée de rivière nous rappelle la trilogie du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson, quand d’autres nous évoquent Les Gremlins (1984), Dark Crystal (1982), mais aussi Les Goonies (1985).

L’autre élément très plaisant de La Légende d’Ochi est d’avoir utilisé des marionnettes, des animatroniques, des peintures sur cache et juste un peu d’animation 3D. Certains trouveront cela d’un cheap sans nom, d’autres y verront comme moi un charme oublié qui donne envie de ressortir les VHS du placard. C’est aussi ce qui donne tout le cachet (et la mignonnerie) au petit Ochi, que plusieurs se font déjà un plaisir de comparer à Grogu dans The Mandalorian. A l’I.A., Isaiah Saxon préfère l’artisanat et nous attendrit avec panache pour son premier long métrage qui, malgré ses terrains scénaristiques balisés, sait nous enchanter et nous rendre curieux quant à ses prochains projets, qu’on espère aussi jolis mais mieux ficelés.

Malgré un scénario plutôt classique, l’espiègle La Légende d’Ochi charme par ses images punchy aux allures 80-90’s, son artisanat maîtrisé et les nombreuses références cinématographiques cultes qu’il convoque.

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